SURMONTER LA MORT D'UN ENFANT

 

 

 

Extrait du livre « Surmonter l’épreuve du deuil », Helen Alexander, Empreinte Temps Présent, 2001. Disponible sur le site de la librairie 7ici : http://www.librairie-7ici.com ou par mail 7ici@wanadoo.fr.

 

« Notre fille de sept ans fut renversée par un automobiliste en état d'ivresse. Elle passa quatre jours en service de réanimation puis succomba à ses blessures. Voilà trois ans que ce drame a eu lieu et je ne parviens toujours pas à l'accepter. Elle avait la vie devant elle, tant de belles choses l'attendaient ! »

 

« J'ai soixante-douze ans et je n'avais jamais pensé que j'aurais à affronter la perte d'un de mes enfants. Pourtant, il y a trois mois, mon plus jeune fils de quarante ans trouva la mort dans un accident de voiture. Ce n'est pas normal, c'est lui qui aurait dû organiser mes obsèques et non l'inverse. J'ai perdu mon mari l'année dernière mais cette nouvelle épreuve me semble pire encore. »

 

« Les docteurs nous annoncèrent que notre fils Brice était atteint d'une tumeur cérébrale. Un an plus tard, il décéda alors qu'il venait de fêter ses dix ans. Nous sommes une famille de croyants mais il m'est difficile d'accepter que ce deuil soit la volonté de Dieu. J'ai lu des articles sur la guérison d'autres enfants souffrant du même mal : pourquoi le traitement n'a-t-il pas marché pour mon fils ? Nous avons beaucoup appris en voyant comment Nicolas affronta sa maladie avec courage et confiance en Dieu, mais sa mort n'a vraiment aucun sens. »

 

Le décès d'un enfant, qu'il soit jeune ou plus âgé, semble profondément anormal, contraire à l'ordre naturel des choses. La logique de la vie voudrait que les enfants enterrent leurs parents et non le contraire. La mort d'un enfant signifie la perte d'un potentiel inexploité, de désirs et de projets futurs non réalisés. Au siècle dernier, les familles étaient nombreuses et la mortalité infantile atteignait un taux très élevé. Perdre un ou plusieurs enfants était le lot de nombreuses familles.

 

De nos jours, parce que la cellule familiale s'est restreinte, qu'elle jouit d'un niveau de vie plus élevé et que l'espérance de vie a presque doublé, la perte d'un enfant est un fait rare et par conséquent particulièrement traumatisant. Le témoignage de parents ayant traversé cette épreuve révèle que la blessure du deuil ne cicatrise jamais vraiment. En fait, plutôt que d'aboutir à une acceptation de la perte, les parents apprennent surtout à vivre avec leur souffrance.

Isabelle et Sylvain

 

Elsa avait huit ans lorsqu'elle tomba malade. Isabelle et Sylvain, ses parents, pensèrent que ce n'était qu'un virus passager mais au bout d'une semaine, Elsa ne se portait pas mieux et Isabelle commença à s'inquiéter. Leur docteur les rassura en expliquant que de nombreuses personnes étaient atteintes du même virus et qu'il fallait seulement patienter quelques jours de plus. Une semaine plus tard, Elsa souffrait toujours autant et sa mère retourna chez le docteur. Cette fois-ci, il effectua des analyses sanguines puis envoya la fillette consulter un spécialiste à l'hôpital.

           

« Quand le pédiatre nous annonça qu'elle était atteinte de leucémie, je n'arrivai pas à le croire. Je me doutais que si le docteur nous avait envoyés à l'hôpital, c'était sérieux, mais pas à ce point là. En plus, Elsa n'avait pas l'air si malade, comment pouvait-elle souffrir de quelque chose d'aussi grave ? Le pédiatre s'était sûrement trompé.

 

Or, il avait vu juste et Elsa fut hospitalisée. J'emménageai dans une chambre de l'hôpital spécialement réservée aux parents, ce qui me permit de rester près de ma fille pendant les semaines suivantes. Quand je me retrouvais seule, je pleurais à chaudes larmes en pensant aux horreurs que ma fille endurait : tests sanguins en nombre infini, analyses de la moelle osseuse, chimiothérapie…

 

Chaque fois que les docteurs annonçaient de nouveaux examens, je frissonnais. La pensée de tout ce qu'ils lui faisaient me dégoûtait. Elle était ma petite fille chérie et je souffrais de la voir ainsi. Mais Elsa restait parfaitement stoïque, même quand ses cheveux tombèrent. Le seul commentaire qu'elle livra à ce sujet fut qu'ainsi, elle « appartenait aussi au club » : dans le service, trois autres enfants subissaient une chimio et ils arrivaient à plaisanter sur leur état.

 

Les autres enfants bénéficièrent d'une rémission mais pas Elsa. Un soir, elle tomba dans le coma et le lendemain vers 14 heures, elle avait cessé de vivre. Elle mourut deux mois après le diagnostic du pédiatre.

 

Je ne connais pas de mots assez forts pour décrire ce que je ressentis. Je me sentais à la fois malade à en vomir, vide, jalouse des parents dont les enfants se portaient mieux, et en colère. A l'extérieur je paraissais maîtresse de la situation et continuais à jouer la mère sereine et douce. Mais en mon for intérieur, la tempête faisait rage.

 

Les heures précédant le décès d'Elsa, Sylvain et moi étions assis près de son lit. Nous lui tenions la main, lui parlant et caressant son bras. Comme je voulais qu'elle sorte du coma ! Je me souviens avoir prié sans cesse, marchandant même avec Dieu : « Si tu laisses Elsa vivre, je promets d'essayer de ne plus faire que le bien le reste de mon existence. »

Puis les docteurs vinrent dans la chambre et nous annoncèrent qu'il n'y avait plus d'espoir que notre petite fille s'en sorte. Ses paroles frappèrent mon cœur comme un coup de poignard. Je n'arrivais plus à respirer, j'avais l'impression que j'allais m'évanouir. Jusqu'à cet instant, en dépit de ce que me disaient Sylvain ou les médecins, j'avais espéré que notre fille allait guérir et je voulais croire que tout redeviendrait comme avant. Maintenant, je devais faire face à la réalité : ma fille était en train de mourir.

 

Je retournai près de son lit et serrai la main de ma fille aussi fort que je le pouvais. Le souvenir de sa naissance me revint : l'accouchement me faisait peur mais j'étais très impatiente aussi. Puis, quand la sage-femme déposa le bébé dans mes bras, je sentis un amour débordant et une immense joie m'envahir. Je m'en souvenais comme si c'était hier. Mais aujourd'hui, Elsa me quittait et je ne pouvais rien faire pour l'en empêcher. Je n'arrivais pas à pleurer et mon corps me faisait souffrir : j'avais l'estomac noué, les muscles de mon corps contractés et une douleur à la poitrine me lançait continuellement depuis plusieurs jours.

 

Face à l'état critique d'Elsa, Sylvain et moi décidâmes de lui dire au revoir, même si nous n'étions pas sûrs qu'elle nous entende dans son coma. Nous lui expliquâmes qu'elle allait être heureuse au ciel et que papi et mamie l'y attendaient dès qu'elle serait prête. Sa respiration ralentit et au moment où nous lui dîmes combien nous l'aimions, nous comprîmes que tout était fini. Elsa était partie, dans le calme et la paix.

 

Je m'approchai de la fenêtre et observai le monde extérieur. Il avait l'air parfaitement normal : le soleil brillait, les voitures bouchonnaient et des gens s'affairaient à leurs occupations ordinaires. Sur un banc, un couple d'amoureux se tenaient la main en se regardant les yeux dans les yeux. Je sentis les larmes coulaient sur mon visage. Elsa ne saurait jamais combien c'est merveilleux de tomber amoureuse. Elle ne grandirait pas et ne deviendrait pas ce pilote d'avion qu'elle rêvait d'être. Quel gâchis lamentable !

 

Le personnel médical se montra vraiment compréhensif et nous permit de rester auprès de notre fille autant que nous en avions besoin. Les deux infirmières préférées d'Elsa et le jeune docteur qui s'était si bien occupé d'elle vinrent nous apporter leurs condoléances et témoigner de leur affection. Où trouvaient-ils donc la force émotionnelle de travailler dans un tel service auprès d'enfants malades et souvent mourants ?

 

Sylvain me murmura qu'il était temps de quitter Elsa et de rentrer chez nous. Mais je refusais d'abandonner ma petite fille, je ne supportais pas l'idée qu'elle allait être enfermée à la morgue après notre départ. Quelques minutes plus tard, je compris que cela ne servait plus à rien de rester là, et j'acceptai de partir. Je déposai le nounours en peluche d'Elsa près de son visage et demandai à l'infirmière de vérifier qu'il accompagnerait ma fille partout. Comme cela, elle ne serait pas vraiment seule.

 

La maison me parut affreusement vide à notre retour, le calme qui y régnait me donna la chair de poule. Pierre, notre garçon de cinq ans, logeait chez ma sœur. Sa présence aurait égayé notre foyer mais son absence amplifiait le silence effroyable qui régnait chez nous. Sylvain et moi passâmes un moment à la cuisine, devant une tasse de café, sans échanger un mot. Nous reculions le moment où nous allions annoncer à nos familles et à nos proches le décès d'Elsa, parce que ces coups de fil confirmeraient que ce n’était pas un cauchemar, que sa mort était bien réelle.

 

Les semaines suivantes ne furent que pleurs, révolte et incompréhension. Pendant le traitement d'Elsa, j'avais eu le temps de songer à l'éventualité de sa mort mais au fond, je n'avais jamais vraiment cru que l'on en arriverait là. Dans le service de pédiatrie de l'hôpital, j'avais rencontré d'autres parents dont les enfants luttaient contre la leucémie depuis des années avec de nombreuses rémissions et cela m'avait donné espoir en la guérison de ma fille. Avec Sylvain, j'évoquais souvent ce que nous ferions en famille dès qu'Elsa irait mieux, comme par exemple l'emmener à Disneyland.

 

Je passai de nombreuses heures à réfléchir à ce que j'avais pu faire pour qu'Elsa attrape une leucémie. La culpabilité me tourmentait constamment. Etait-ce la nourriture que je lui donnais ou les produits d'entretien que j'utilisais pour nettoyer ? Je m'asseyais dans sa chambre à laquelle je refusais de toucher pour que tout soit comme elle l'avait laissée et je pleurais de longues heures. Je prenais un de ses livres ou vêtements, me disant qu'elle les avait aussi touchés, ce qui me donnait l'illusion d'être proche d'elle.

 

Peut-être que d'autres couples ayant perdu leur enfant arrivent à s'épauler mutuellement dans leur chagrin mais Sylvain et moi, nous ne parlions presque pas de ce qui nous arrivait. Il reprit assez vite le travail, donnant l'impression de s'y consacrer à fond pour oublier sa peine. Mais moi, je restais toute la journée seule à la maison, torturée par mes souvenirs et mes idées noires. Dans les premiers temps, peu après la mort d'Elsa, plusieurs de nos amis furent d'un grand secours. Ils venaient passer des heures à nous écouter, nous consoler, nous préparer des repas et faire un peu de ménage.

 

Mais peu à peu, ils cessèrent de venir. Ils nous appelaient de temps en temps pour « savoir si on allait mieux ». On aurait dit qu'ils pensaient qu'on avait juste une grippe. Mais c'était notre fille que nous venions de perdre ! La seule amie qui continua à nous entourer s'appelait Colette. Nous nous étions connues à la fac et même si elle était restée célibataire, nous étions restées de bonnes amies. Elle venait manger avec moi le midi au moins deux fois par semaine, pendant ses pauses. Elle me laissait parler d'Elsa sans regarder sa montre et quand je pleurais, cela ne l'embarrassait pas. D'autres, devant mes sanglots, prétextaient une excuse pour partir.

 

Je crois que nous avons été parfois maladroits envers Pierre pendant ces semaines et je le regrette bien. Quand Elsa fut hospitalisée, il avait été la voir. Mais lorsque son état empira, ma sœur le prit chez elle afin de permettre à Sylvain et moi d'être entièrement disponibles pour Elsa. Nous expliquâmes seulement à Pierre que sa sœur souffrait davantage et qu'il était préférable que nous passions beaucoup de temps auprès d'elle. Il nous avait alors demandé s'il pouvait nous accompagner mais nous répondîmes qu'il serait mieux avec sa tante.

 

Quand Elsa décéda, nous ignorions comment en faire part à Pierre. Nous pensions qu'il était trop jeune pour lui annoncer que sa grande sœur était morte, alors nous lui avions dit qu'Elsa était partie vivre avec Jésus et qu'elle ne reviendrait pas. Pierre n'assista pas aux obsèques parce que nous estimions que ce serait trop pénible pour lui.

 

Or, quelques semaines plus tard, Sylvain s'absenta quatre jours pour un voyage d'affaires et Pierre se mit dans tous ses états. Il tapait du pied et criait qu'il voulait voir son papa. Je le pris sur mes genoux et une fois calmé, il lâcha : « Est-ce que papa est parti lui aussi vivre avec Jésus ? » Je compris que je devais lui dire la vérité pour sa sœur et lui expliquer ce qu'était la mort. Le lendemain, nous nous rendîmes ensemble sur la tombe d'Elsa avec des fleurs et Pierre fut tranquillisé.

 

Deux jours plus tard, je le trouvai dans la chambre de sa sœur en train de jouer avec ses jouets. Comme je voulais que personne ne touche à ses affaires, je rentrai dans une colère furieuse et jetai des hauts cris contre Pierre. De sa petite voix il me lança : « Mais tu m'as dit qu'Elsa était morte et qu'elle habitait avec Jésus, elle n'a donc plus besoin de ses jeux ? » Je m'emportai de plus belle, lui reprochant d'être sans cœur et je le renvoyai dans sa chambre tandis que je me réfugiai dans la mienne pour pleurer. Il m'est pénible de raconter cette histoire, j'y ai l'air vraiment monstrueuse ! Je regrette tellement d'avoir réagi si excessivement. J'avoue ne pas comprendre comment j'ai pu être si dure mais c'est arrivé.

 

En fait, ma propre douleur me submergeait déjà tellement que j'étais incapable de m'intéresser à ce que mon entourage ressentait. Je m'en veux de ne pas avoir su à ce moment-là écouter la souffrance de mon fils et de mon mari. Je ne montrais pratiquement pas d'affection à Pierre, quant à Sylvain, je le rejetais complètement. Quand il rentrait du travail et me trouvait en larmes, il s'énervait. De mon côté, je lui reprochais d'avoir un cœur de pierre. Comment arrivait-il à reprendre une vie « normale » après ce qui nous était arrivés ? »

 

Le décès de leur fille avait conduit le couple de Sylvain et Isabelle dans une impasse, proche de la séparation. Six mois s'étaient écoulés depuis la mort d'Elsa mais la détresse des parents demeurait toujours aussi accablante. Colette, l'amie d'Isabelle, perçut la menace qui pesait sur ce couple et se renseigna sur les aides existantes pour ces situations. Elle rencontra une psychothérapeute spécialisée dans l'accompagnement de personnes endeuillées et décida d'en parler à ses amis. L'étape suivante consistait à les convaincre de se faire aider. A sa grande surprise, Sylvain s'empressa d'accepter tandis qu'Isabelle se montra plus hésitante. Sylvain en livre l'explication.

 

« Je me rendais compte que nous avions un sérieux problème et que notre couple était en danger. Isabelle restait distante et même fuyante. Elle pleurait sans cesse et ne me laissait plus l'approcher. Je culpabilisais d'avoir laissé mourir Elsa, j'avais échoué dans mon rôle de père. Mon devoir était de la protéger et maintenant j'échouais également en tant que mari puisque je ne parvenais pas à consoler ma femme. Il me paraissait évident que nous avions besoin de l'aide d'un professionnel.

 

J'étais en colère contre Isabelle. Elle passait son temps à sangloter, à broyer du noir et à me reprocher mon indifférence… comme si elle était la seule à souffrir de la mort d'Elsa. Mais moi aussi j'avais perdu ma fille ! Les hommes grandissent en apprenant qu'ils ne doivent pas montrer leurs sentiments, et surtout ne pas pleurer. Ils doivent se montrer forts. Pourtant, au fond d'eux, ils éprouvent le même désespoir que leur femme face à la perte d'un enfant. En ce qui me concerne, je choisis de me plonger dans le travail pour oublier ma peine. Et puis, il fallait bien que quelqu'un ramène de l'argent à la maison pour vivre, qu'y a-t-il de mal à cela ?

 

L'un des rares bons souvenirs que je garde en mémoire de l'hospitalisation d'Elsa fut une de nos discussions peu avant sa mort. Isabelle se trouvant chez sa sœur avec Pierre, je passai l'après-midi seul avec ma fille dans sa chambre. Elle était très faible et ne parvenait plus à marcher. Elle leva les yeux et me souffla : « Papa, je vais mourir, n'est-ce-pas ? »

 

Comment un père peut-il avouer à sa fille de huit ans que oui, elle est en train de mourir ? Mais je ne voulais pas lui mentir. Elle était intelligente et lucide, et avait bien vu ce qui était arrivé à l'un des enfants atteints de leucémie. Alors je pris une profonde inspiration et lui exposai la vérité aussi délicatement que possible. J'avais saisi sa main pendant que je lui parlais mais peu à peu, je pris conscience que c'est elle qui tenait la mienne. Ma petite fille mourante essayait de consoler son papa ! Après m'avoir écouté, elle soupira puis ajouta : « Tu sais, papa, je n'aime pas être malade parce que je n'ai même plus envie de jouer. Mais quand je serai au ciel, ça ira beaucoup mieux ! »

 

Elle marqua une pause et continua : « Maman persiste à me dire que je vais guérir. Ne lui raconte pas que je sais que je vais mourir. Elle ne le supporterait pas. » Je la pris dans mes bras puis lui fis la lecture avant qu'elle ne s'endorme. Je sortis dans le couloir et réfléchis à ce que je venais d'entendre. Elle avait raison, Isabelle refusait de croire que sa fille allait bientôt cesser de vivre. Les docteurs nous avaient pris à part plusieurs fois pour nous parler de l'état de santé d'Elsa et nous aider à envisager le pire, mais Isabelle faisait la sourde oreille. Je savais que quand notre fille nous quitterait, le choc serait redoutable pour Isabelle mais je ne voyais pas comment l'y préparer.

 

Après cette discussion avec Elsa, je tentai à nouveau d'aborder le sujet avec Isabelle mais elle se mit à me reprocher de perdre espoir de la voir se rétablir. Elle répétait que nous ne devions penser qu'à sa guérison pour que celle-ci advienne. Je décidai de ne plus essayer de la convaincre, son aveuglement était trop fort. J'eus deux autres échanges du même genre avec Elsa avant qu'elle ne tombe dans le coma. Ces moments sont pour moi une source de grand réconfort. La première fois, elle sentait que la fin approchait mais elle me confia qu'elle n'avait pas peur. « Je vais simplement m'endormir, sans me réveiller. » La deuxième fois, j'allais sortir de sa chambre quand elle déclara d'une voix pleine de sollicitude : « Dis à Pierre que je suis désolée d'avoir été une si mauvaise grande sœur. Au revoir papa, je t'aime tant. » Je suis convaincu qu'elle savait que c'était la dernière fois qu'elle me voyait.

 

Ma foi n'est pas très solide mais ma fille m'a appris à ne pas craindre la mort. Grâce à elle, je crois qu'il existe une vie après la mort et qu'Elsa m'y attend. J'ai décidé de me rendre à l'église de temps en temps mais Isabelle refuse de m'y accompagner. J'ai tenté de lui raconter les conversations que j'ai eues avec notre fille mais elle fait mine de ne pas s'y intéresser. Je pense qu'elle se culpabilise de ne pas avoir parlé aussi avec Elsa de ces questions.

 

Notre mariage courait au désastre. Isabelle et moi ne parvenions plus à communiquer. Quand pour nous encourager, les gens nous lançaient : « Au moins vous pouvez vous consoler mutuellement », je savais que c’était faux. Certes, nous vivions sous le même toit, mais nous n'étions pas un secours l’un pour l'autre. Pourtant, je l'aurais souhaité, car j'avais besoin de mon épouse. Quant à Pierre, il avait non seulement perdu sa sœur mais aussi ses parents en tant que couple. »

 

Isabelle et Sylvain acceptèrent d'être suivis par un psychologue. Ils commencèrent par le consulter ensemble puis individuellement. Ils se joignirent également à un groupe de soutien. Là, ils rencontrèrent d'autres parents qui avaient aussi perdu un enfant et le partage de ces expériences aida considérablement Isabelle et Sylvain. Plusieurs mois plus tard, Isabelle percevait des changements dans son attitude et ses émotions.

 

« Elsa me manque toujours et il ne faut pas grand chose pour que je fonde en larmes, mais je crois qu'en ce qui concerne notre mariage, il est sauvé. Lors d'une séance chez la thérapeute, alors que je parlais d'Elsa, un souvenir d'elle surgit dans mon esprit. Elle avait alors six ans et pleurait parce qu'elle avait entendu une dispute entre Sylvain et moi. Soudain, je l'imaginai encore présente parmi nous et à quel point nos querelles actuelles l'irriteraient.

 

Je me sens plus proche de Sylvain maintenant. Il m'a raconté ce que lui avait confié Elsa dans ses derniers jours et les bons échanges qu'ils vécurent. Il a raison, je m'en voulais de ne pas avoir su parler à ma fille de sa mort mais je n'en avais pas le courage. Je suis heureuse qu'il ait eu l'occasion de s'entretenir avec elle sur ce sujet ou plutôt, qu'elle ait eu l'initiative de le faire. Cela m'a aidée considérablement d'échanger avec d'autres parents du groupe de soutien. Leur témoignage m’a rassurée sur ma santé psychologique. En effet, après la perte d'Elsa, des idées saugrenues se bousculaient dans ma tête, mes sentiments étaient exacerbés et des questions irrationnelles me hantaient. Certains jours, j'en arrivais même à croire que j'étais devenue folle. Mais en écoutant les autres parents, je m'aperçus qu'il est normal d'avoir de telles réactions extrêmes quand on perd un enfant.

 

Le groupe me montra par ailleurs à quel point la mort d'un enfant fait également souffrir le père. Les pères sont éduqués autour de l'impératif :  « Sois fort et protège ta famille ». Leur peine est au moins aussi profonde que celle des mères mais on leur a appris à ne pas l'extérioriser. J'ai compris que dans une épreuve comme la nôtre, quelle que soit la manière dont chaque conjoint évolue dans son travail de deuil, il est vital de partager ses émotions, ses doutes, ses questions, voire sa culpabilité avec l'autre. Chacun progresse à son rythme, mais il faut continuer à communiquer, à s'accompagner, car c'est dans le temps d'affliction que les conjoints ont le plus souvent besoin l'un de l'autre. »

 

Isabelle et Sylvain, grâce au suivi thérapeutique, sont parvenus à sauver leur mariage mais leur exemple révèle à quel point la perte d'un enfant s'avère destructrice pour l'unité du couple. Même une vie conjugale stable et épanouie peut être ébranlée par la douleur du deuil. Au moment où le mari et la femme demandent le plus de soutien et de compréhension, chacun est tellement absorbé par sa propre souffrance qu'il en « oublie » l'autre. Ils s'enferment dans la non-communication, le désespoir et la solitude. Les amis les plus proches ne savent plus comment les aider, d'autant plus que la peine des parents les conduit à se couper aussi de l'entourage. Obnubilé par son chagrin, le couple ne veut plus de contact avec le monde extérieur. D'où la difficulté d'intervenir et de les « reconnecter ».

 

Pourtant, il est essentiel pour les parents frappés par le deuil de s'efforcer de rester proches l'un de l'autre, en dépit de leurs réactions parfois excessives. Une femme décrivait sa relation avec son mari après la mort de leur fils de quinze ans comme un naufrage : le deuil les avait projetés au beau milieu d'une tempête sur deux malheureux bouts de bois et ils parvenaient tout juste à se tenir la main pour maintenir les deux planches l'une à côté de l'autre. Mais la mer déchaînée lançait contre eux de violentes vagues et sans s'en rendre compte, ils se lâchèrent la main et dérivèrent chacun de leur côté. « Les courants de la douleur et de la tristesse nous avaient séparés et lorsque nous souhaitâmes voir l'autre ou l'appeler, il était déjà trop tard, nous étions trop éloignés. »

 

La situation n'est pas plus aisée pour les couples chrétiens. La foi entraîne parfois même une culpabilité supplémentaire, celle de ne pas avoir assez de confiance en Dieu pour s'en sortir. Elle provoque aussi davantage de colère parce qu'on reproche à Dieu d'avoir pris injustement notre fils ou fille. On le hait d'avoir permis ce drame et on a l'impression qu'il nous a abandonnés.

 

Pour les chrétiens, il faut rappeler que la foi ne doit pas empêcher d'exprimer honnêtement ce qu'on ressent ou pense. Inutile de censurer certaines émotions pour ne montrer que celles qu'on pense qu'un chrétien devrait avoir. Il est préférable d'accepter notre révolte et d'admettre que la mort de notre enfant n'a vraiment aucun sens. Il est possible de prier Dieu en lui confiant notre désarroi et même notre colère, notre amertume.

 

Et si la peine est trop lourde pour arriver à prier, Dieu est quand même auprès de ceux qui souffrent et il les soutient. Le Saint-Esprit vient en douceur accomplir son œuvre de consolation alors que nous sommes perdus dans nos révoltes, nos pleurs et nos plaintes. Dieu est un roc : au plus profond de l'abîme le plus noir, la personne éprouvée par le deuil peut sentir sous ses pieds un support solide sur lequel prendre appui pour remonter à la surface.

 

D'un point de vue humain, la mort d'un enfant apparaît comme un terrible gâchis particulièrement absurde et vain. Il (ou elle) n'ont pas eu le temps de grandir et de profiter de ce que le monde avait à lui offrir. Cette existence si courte a-t-elle le droit d'être considérée comme une vie à part entière ?

La réponse est un oui catégorique. Lors de l'enterrement d'une petite fille de dix-huit mois, le pasteur interpella l'assistance avec cette affirmation : « Cette enfant, déclara-t-il, a vécu une vraie vie, avec un début, un milieu et une fin. Certes la durée de cette vie s'avéra n'être que de dix-huit mois mais il ne fait aucun doute qu'elle constitua une existence à part entière, digne de respect. Pleurer sa disparition est donc tout à fait légitime et nécessaire. L'inverse reviendrait à dénigrer la qualité de vie de ce petit être et à minimiser l'amour et la complicité qui ont fait la joie des parents pendant ces précieux mois. »

 

Chaque année, des milliers d'enfants décèdent par maladie ou accident. Comment vivent-ils l'approche de la mort ? De nombreux parents comme Isabelle et Sylvain témoignent que leur enfant, surtout au travers de la maladie, a acquis une étonnante maturité spirituelle qui lui permet d'aborder sereinement son départ. Pour les plus jeunes, leur maturité se révèle surtout dans leur façon de considérer la maladie. Les plus âgés montrent une perception saisissante du sens de la vie et leur sagesse ainsi que leur acceptation de leur devenir sont surprenants. Leur maturité dépasse souvent le nombre de leurs années, comme l'a montré l'histoire d'Elsa.

Serge et Rachel

 

Serge et Rachel étaient des membres très engagés de leur église. Ils n'arrivaient pas à avoir d'enfants parce que Rachel avait subi une hystérectomie (ablation de l'utérus) à cause d'une grave inflammation des muqueuses intra-utérines. Comme ils désiraient être parents, ils adoptèrent Nicolas alors qu'il n'était âgé que de quelques semaines. A aucun moment Serge et Rachel ne gardèrent l'adoption secrète et Nicolas, tout en sachant d'où il venait, se considérait comme leur fils.

 

Nicolas grandit et devint un enfant enjoué et épanoui. Il demandait sans cesse « pourquoi » face à tout ce qu'il voyait : pourquoi les oiseaux ont des ailes et pas les humains ? Pourquoi l'été ne dure-t-il pas toute l'année ? Il se montrait très affectueux et aimait rendre service. Un jour, il arracha les jonquilles du jardin et les vendit à ses amis pour acheter un cadeau à l'occasion de la fête des mères et donna le reste de l'argent à une œuvre de charité soutenue par l'église. Rachel n'avait vraiment pas trouvé cela drôle sur le coup mais dès le lendemain, cela devint une plaisanterie et un bon souvenir familial.

 

Chaque jour, Rachel et Serge remerciaient Dieu pour le cadeau qu'était Nicolas. Ils s'émerveillaient de son énergie et de la joie qu'il apportait à leur foyer. Jamais, dans les jours où ils avaient désiré si désespérément un enfant, ils ne s'étaient imaginés que ce serait aussi bien.

Nicolas parlait facilement de Dieu, il faisait partie de la chorale de l'église et participait activement aux moments de prière en famille. Le lendemain de son onzième anniversaire, il partit, le sourire aux lèvres, rejoindre ses copains scouts pour une sortie. Mais trente minutes plus tard, il revint à la maison. Il expliqua à Rachel qu'il était tombé de son vélo parce qu'il avait tourné brusquement pour éviter un chat et qu'il avait cogné sa tête contre quelque chose de dur. Il était blême et tremblait, secoué par cet accident.

 

Rachel décida de l'emmener immédiatement aux urgences. Dans la voiture, elle essayait de se concentrer sur la route mais son esprit était ailleurs. Elle fut très angoissée lorsque Nicolas lui raconta que quand il se trouvait par terre, il avait cru qu'il n'arriverait pas à se relever et qu'il allait mourir. Il ajouta que Serge et elle ne devaient pas trop lui en vouloir si c'était le cas. Rachel s'empressa de lui répondre que, bien sûr, il n'allait pas mourir mais au fond d'elle, elle priait Dieu pour que ce ne soit pas grave.

 

Le docteur à l'hôpital se voulut rassurant mais il préférait garder Nicolas en observation pour la nuit parce qu'il avait quand même reçu un choc important à la tête. Rachel et Serge restèrent une bonne heure avec lui dans sa chambre mais ensuite il leur dit qu'il se sentait bien et qu'ils pouvaient rentrer à la maison se reposer. Il les embrassa et les remercia d'être les meilleurs parents du monde.

 

De retour chez elle, Rachel ne parvint pas à se calmer. Trop angoissée pour son fils, elle arpentait nerveusement la maison de long en large. Elle finit par s'asseoir, ouvrit sa Bible et tomba sur le passage d'Esaïe 43 :

 

« Ne crains point car je t'ai racheté ;

je t'ai appelé par ton nom, tu es à moi.

Quand tu passeras par les eaux, je serai avec toi

et par les rivières, elles ne te submergeront pas ;

quand tu marcheras dans le feu, tu ne seras pas brûlé

et la flamme ne te consumera pas.

Car moi, je suis l'Eternel ton Dieu. »

 

Vers minuit, Serge monta se coucher mais Rachel savait qu'elle ne parviendrait pas à s'endormir. Elle sortit dans le jardin prendre l'air et s'assit sur le banc. La nuit était magnifique, il faisait bon et tout semblait si calme ! Elle pria pour Nicolas, pour sa guérison et se mit à repenser aux bons souvenirs vécus ensemble.

 

A 2 heures 15, le téléphone sonna. Une infirmière du service des urgences leur demandait de venir au plus vite car l'état de Nicolas avait subitement empiré. A l'hôpital, ils apprirent que Nicolas était tombé dans le coma et les médecins craignaient qu'il souffre d'une hémorragie interne au cerveau. Il fallait immédiatement l'opérer pour réduire la pression sanguine au niveau cérébral. Rachel et Serge furent autorisés à passer quelques minutes auprès de leur fils avant qu'il ne soit conduit en salle d'opérations. Rachel eut à ce moment-là l'intuition qu'elle ne reverrait plus Nicolas vivant.

 

« Je me sentais affreusement impuissante. C'était effroyable de voir les infirmières emmener mon fils alors que je sentais que Dieu allait le rappeler vers lui. Mais lorsqu'il disparut de ma vue, une paix réconfortante m'envahit. Je ne peux la décrire mais grâce à elle, j'arrivai à prier : « Seigneur, non pas ma volonté mais la tienne ».

 

Rachel ne s'était pas trompée : son fils succomba sur la table d'opération. Quand l'infirmière entra dans la pièce où elle et son mari attendaient des nouvelles, Rachel s'exclama : « Il vient de mourir, n'est-ce pas ? » L'infirmière acquiesça. Tout était fini. »

 

En considérant l'année écoulée depuis le décès de Nicolas, Rachel et Serge estiment qu'ils sont devenus plus proches et que leur couple s'est consolidé. Voici un extrait de la lettre circulaire qu'ils envoyèrent à leurs amis pour Noël, seulement six mois après le départ de Nicolas.

 

« Merci à toutes et tous pour les lettres et cartes que vous nous avez envoyées après la mort de notre fils. Elle nous ont apporté un grand réconfort et nous avons été encouragés de savoir que vous priiez pour nous pendant cette épreuve. Nous tenons à vous dire à quel point nous nous sommes sentis soutenus par l'amour de Dieu au cours de ces mois de détresse. Nous pleurons encore souvent la disparition de Nicolas mais la blessure commence à cicatriser et nous reprenons goût à la vie.

 

Les six derniers mois, nous avons lutté en vain pour trouver un sens à la mort de Nicolas. Il avait un bel avenir devant lui et nous l'aimions tant. En réfléchissant à son décès si brutal, nous avons d'abord blâmé l'hôpital pour sa négligence : pourquoi les médecins n'avaient-ils pas décelé qu'il souffrait d'une hémorragie interne avant qu'il ne soit trop tard ? Mais ces accusations ne nous ramèneront pas Nicolas. Nous avons beaucoup prié, et discuté longtemps pour comprendre la signification du deuil de notre enfant. Nous sommes arrivés à la conclusion que cela fait partie du plan de Dieu pour sa vie et que nous ne pouvons pas en comprendre davantage.

 

Pendant sa courte existence, Nicolas nous a donné tant d'amour et de joie qu'à aucun moment, dans les mois écoulés, nous avons regretté de l'avoir adopté. Nicolas était l'enfant que nous n'avions pas pu avoir et nous réalisons que Dieu nous l'avait en quelque sorte « prêté » afin que nous le chérissions et prenions soin de lui.

 

Ce Noël risque d'être bien triste, notre premier Noël sans Nicolas. Alors que nous allons fêter la naissance du Christ comme étant le don de Dieu pour le monde, priez pour que nous continuions à remercier Dieu pour le don qu'il nous a fait de Nicolas pendant ces onze brèves mais merveilleuses années. »

 

La foi de Rachel et Serge est remarquable. Elle les conduit à remercier Dieu pour la courte vie de Nicolas alors qu'ils ne comprennent toujours pas pourquoi elle s'est achevée si vite. Leur détresse n'est sûrement pas moins profonde que des parents incroyants dans le même cas et ils ont connu également de nombreux jours particulièrement sombres. En effet, la foi n'est pas un anesthésiant spirituel à la douleur, et les chrétiens pleurent autant que les autres. Mais la foi permet de croire que Dieu sait ce qu'il fait, même si ici-bas, nous ne comprenons pas le pourquoi de certains événements. Il tient chaque vie entre ses mains.

 

La question de l'origine du mal est particulièrement ardue. Comme l'a écrit Henri Blocher, « tandis que le mal tourmente les hommes en leur chair, le problème du mal torture leur esprit ». Il n'est pas possible en quelques lignes de traiter ce sujet convenablement sans prendre de regrettables raccourcis théologiques et je renvoie pour cela à d'autres ouvrages s'y consacrant amplement. Mais il me semble important d'énoncer quelques vérités. J'en rappellerai deux fondamentales.

 

Tout d'abord, la souveraineté universelle du Seigneur : la Bible enseigne qu'il détermine tout événement. Mais cette souveraineté absolue englobe de façon mystérieuse la décision des êtres libres : nous sommes libres d’agir et donc tenus pour responsables de nos actes. Deuxièmement, Dieu est bon absolument et sans mélange, il n'est en aucun cas complice du mal. D'ailleurs, il a envoyé son Fils mourir sur la croix pour vaincre le mal.

 

Personnellement, je ne crois pas que Dieu décide d'envoyer telle maladie mortelle à tel enfant ou de provoquer un accident fatal pour tel autre. Certes, étant donné que Dieu créa le monde et qu'à l'intérieur de celui-ci existent des virus auxquels les humains peuvent succomber, il existe un certain lien de cause à effet. Mais qui est le vrai responsable de ces maux ? Prenons l'exemple d'un enfant mortellement renversé par un automobiliste ivre. Est-ce la faute de Dieu ou celle de l'homme ? De même, les recherches scientifiques sont en train de découvrir que la dégradation de l'environnement causée par l'homme serait une explication majeure à l'augmentation du nombre de certains cancers. Ici encore, faut-il tenir Dieu pour responsable ?

Nous ne sommes pas des marionnettes dont les mouvements seraient dirigés grâce à des fils tirés par un marionnettiste divin. Nous sommes des êtres responsables, habitant sur une planète soumise au péché et à certaines lois de la nature. Si une fillette de trois ans lâche la main de son papa pour se précipiter au milieu de la rue parce que quelque chose a attiré son attention et qu'elle est écrasée par une voiture se trouvant là à ce moment précis, il me paraît absurde d'affirmer que Dieu a poussé l'enfant à se jeter dans la rue.

 

Est-ce la curiosité de la petite fille couplée avec son incapacité à mesurer les risques, qui l'ont conduite à aller au milieu de la route ? S'il n'y avait pas eu de voiture ou si elle était arrivée une seconde plus tôt, l'enfant n'aurait rien eu. Mais voilà, à l'instant précis où la fillette a traversé la rue, un automobiliste a surgi et l'enfant est mort.

 

Dieu n'a pas voulu que cela arrive mais il n'a pas non plus empêché cet accident. Cela revient-il à dire que nous sommes victimes des circonstances ? Ou bien sommes-nous entièrement livrés à nous-mêmes, libres de choisir ou décider selon notre propre volonté, mais dans un monde qui nous échappe ?

 

Affirmer que nous sommes livrés à nous-mêmes paraît trop simpliste, sans les nuances nécessaires. Mais il est vrai que nous disposons d'un libre arbitre et que nous jouissons de la liberté de faire nos propres choix. Il arrive que nous-mêmes ou un être cher se trouve au mauvais endroit au mauvais moment et qu'il ne reste qu'à accepter le résultat. Cela ne signifie pas que Dieu ne se soucie pas de nous ou qu'il n'a pas de projet de bonheur pour nos vies mais plutôt que nous sommes soumis aux lois de ce monde. Nous touchons là le mystère de la vie.

 

L'humanité évolue entre ce mystère et le libre arbitre. La vie est à la fois fragile et précieuse. Nous ne sommes pas les esclaves d'un Dieu tyrannique qui dicterait chacun de nos mouvements mais les enfants d'un Dieu qui a envoyé son Fils naître dans ce monde comme un enfant vulnérable pour partager notre humanité et la racheter de son désespoir. Dieu n'est pas une divinité lointaine et indifférente mais il vient au secours de notre vulnérabilité et soulage notre souffrance. Non seulement Dieu entend nos peines, mais en Jésus il est mort sur la croix pour les porter à notre place.

 

Quelle consolation ces réflexions peuvent-elles apporter à des parents endeuillés ? La vie n'est pas un puzzle où nous savons parfaitement comment ou pourquoi les différents morceaux de l'existence s'emboîtent. Au fil de l'existence, et notamment après une épreuve, des questions sans réponses se soulèvent. C'est à ce niveau que la foi joue un rôle important. C'est vrai qu'il est difficile, voire impossible, de trouver un sens à la mort d'un enfant. Ce dont nous pouvons par contre être sûr, c'est que l'amour infini de Dieu nous accompagne dans la détresse. Comme Marie qui a pleuré au pied de la croix en assistant à l'agonie et à l'humiliation de son fils puis à sa mort, de même nous pleurons aussi la perte de nos enfants. Mais après quelques années, la tempête s'apaise et de nouvelles perspectives pointent à l'horizon. C'est le retour du printemps. Un jour, que ce soit sur cette terre ou au ciel, nous comprendrons entièrement les desseins de Dieu.

 

 

 

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