A mon tout petit angelot
Bonjour,
J'ai eu mon premier enfant, non sans mal, j'ai
eu des complications pendant ma grossesse, mais il est né en bonne santé,
malgré le risque d'IMG de 50% qui pesait sur lui (maladie génétique
transmissible dans un cas sur deux).
Je suis tombée enceinte une deuxième
fois, sans avoir prévu cette grossesse.
Mon aîné avait 16 mois. Les taux
« de bêta hcg » étaient très faibles,
totalement anormaux: 7UI à 13 jours de grossesse , puis 22UI à
16 jours de grossesse, le minimum étant respectivement de 40 et de 120
. On m'a annoncé sans aucune émotion, de but en blanc et devant
tous les patients du laboratoire que j'allais faire une fausse couche. Heureusement,
je n'ai vu parmi eux aucune femme enceinte.
J'ai pleuré, j'ai passé le pire
des week-ends, suspendue à un infime espoir, je lui ai parlé,
je l'ai supplié de rester dans mon ventre, je lui ai dit que je l'aimais.
Pour mon compagnon, qui me serinait "avorte"
depuis que je lui avais annoncé ma grossesse, c'était un soulagement:
"ça économise une IVG" me disait-il. Trois jours après
la deuxième prise de sang, je me suis levée et j'ai vu une scène
d'horreur absolue, du sang rouge vif et noir me coulait presque jusqu'aux genoux
le temps que j'arrive, catastrophée, dans la salle de bains. J'ai ressenti
trois petites contractions très rapprochées, et un autre "bouillon"
de sang est sorti, des caillots noirs. Je savais que tout était fini,
le monde s'écroulait autour de moi.
Aux urgences, j'entendais des « dindes » ,
je n'ai pas d'autres mots, se vanter que leur bébé allait bien
ou se plaindre de désagréments minimes de la grossesse, c'était
insupportable, totalement indécent.
Une interne m'a examinée, et m'a dit elle
aussi sans émotion, "rien à l'écho" puis "6UI,
fausse couche précoce".
En tout et pour tout trois heures passées
aux urgences dont seulement dix minutes avec l'interne.
Visiblement c'était la routine pour elle.
Pas un mot de réconfort, une simple ordonnance de doliprane et de spasfon, pas même un
arrêt de travail.
J'étais anéantie.
J'ai vécu comme une automate, anesthésiée
par la douleur, dans une sorte de monde parallèle, rien ne comptais,
le temps s'était arrêté ce jour-là.
Je me suis demandée comment on pouvait
être aussi indifférent à la douleur d'une mère qui
perd son enfant. Oui, je n'étais "qu'à" 19 jours de
grossesse, mais je l'aimais, c'était déjà mon 2°ème
enfant, j'avais calculé ma date de terme et je pensais déjà
aux petits habits que je lui achèterais, à la joie de mon fils
quand il verrait son petit frère ou sa petite sœur.
Une de mes voisines, que je haïssais et qui
me le rendait bien était enceinte, presque pour le même terme que
moi. Son bébé à elle est en bonne santé, merci.
Le mien en revanche est oublié de tous, sauf de moi.
Cela fait 2 ans que je pleure ce petit être,
que j'ai mal .
Quand j'en parle, je sens que c'est un sujet tabou,
les gens sont gênés ou me disent: "ça arrive",
"c'est la nature" ou pire "t'es jeune t'en auras d'autres",
"il t'en reste un, c'est déjà pas mal", "oublie".
Mon compagnon s'est moqué méchamment
de moi en me disant "t'y penses encore? ahahaha", "c'était
qu'un truc pas fini", "il était sans doute triso".
Il refuse toujours que nous ayons un enfant, et
je sens, je sais, que tant que je ne serai pas enceinte à nouveau, je
souffrirai.
La prise de la pilule est une torture quotidienne,
qui enfonce toujours un peu plus le couteau dans la plaie. Autour de moi, les
naissances prolifèrent. Emmener mon fils à l'école me confronte
au fait que je sois une des exceptions, une des seules à ne pas avoir
plusieurs enfants mais un seul. C'est le défilé des poussettes
et des femmes enceintes, je n'en peux plus.
Deux ans seule ,face à sa douleur et à
l'incompréhension générale, c'est très long, 2 ans
à ne pouvoir en parler à personne, à devoir dire à
mon fils que je suis fatiguée ou que j'ai un rhume quand je vois une
énième chanceuse enceinte et que je me mets à pleurer.
J'écoute de la musique et j'ai "accommodé"
une chanson de Barbara à la mémoire de ce minuscule bébé,
de mon si petit deuxième enfant, 2mm et quelques microgrammes, cette
toute petite vie qui m'a rendue euphorique pendant 19 jours.
A mon tout petit angelot
Une petite cantate
Du bout des doigts
Obsédante et maladroite
Monte vers toi
Une petite cantate
Que nous jouions autrefois
Seule, je la joue, maladroite
Si, mi, la, ré, sol, do, fa
Cette petite cantate
Fa, sol, do, fa
N´était pas si maladroite
Quand c´était toi
Les notes couraient faciles
Heureuses au bout de tes doigts
Moi, j´étais là, malhabile
Si, mi, la, ré, sol, do, fa
Mais tu es partie, fragile
Vers l´au-delà
Et je reste, malhabile
Fa, sol, do, fa
Je te revois souriante
Assise à ce piano-là
Disant "bon, je joue, toi chante
Chante, chante-la pour moi"
Si, mi, la, ré
Si, mi, la, ré
Si, sol, do, fa
Si, mi, la, ré
Si, mi, la, ré
Si, sol, do, fa
Oh mon amie, oh ma douce
Oh ma si petite à moi
Mon Dieu qu´elle est difficile
Cette cantate sans toi
Une petite prière
La, la, la, la
Avec mon cœur pour la faire
Et mes dix doigts
Une petite cantate
Mais sans un signe de croix
Quelle offense, Dieu le père
Il me le pardonnera
Si, mi, la, ré
Si, mi, la, ré
Si, sol, do, fa
Si, mi, la, ré
Si, mi, la, ré
Si, sol, do, fa
Les anges, avec leur trompette
La jouerons, jouerons pour toi
Cette petite cantate
Qui monte vers toi
Cette petite cantate
Qui monte vers toi
Si, mi, la, ré
Si, mi, la, ré
Si, sol, do, fa...
Agathe, 27 novembre 2013
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