Daya née sans vie

 

 

Voilà, j'entre dans la période anniversaire de l'agonie in utero de ma petite puce, et c'est le moment que je choisis pour évoquer avec vous son histoire. Peut-être pour vider (une dernière fois ?) ce sac de larmes afin de découvrir "autre chose", et de prouver (!) que oui, c'est possible de vivre avec "cela".

 

Avant même d’avoir effectué le test de grossesse, je me réveille un matin en sursaut d’un rêve. Ce songe a sombré dans mon oubli. Mais j’ai à ce moment-là la certitude de porter une petite fille et qu’elle doit s’appeler Daya. Son prénom signifie « la compassion » en sanscrit et, je l’apprendrai bien plus tard, « l’oiseau » en hébreu…

 

Puis le matin du 29.05.99 à 4h, je retiens mon souffle et n'en crois pas mes yeux: les 2 petits traits bleus me disent: ça y est, tu es là ! Alors que le gynéco m'avait dit qu’une induction d'ovulation serait nécessaire, tu es venue toute seule comme une grande !

 

La 1ère dans la confidence : ta tante Françoise "Tatie Françou".

Le 4.06, je l'annonce à mes parents qui hurlent de joie : 2ème fois grands-parents ! Mon père me demande sur le ton de la boutade si c'est un garçon ou une fille, je lui réponds très sérieusement : c'est une fille ! La suite me donnera raison.

 

Ton papa, avec qui je ne vivais pas, a seulement été le 3ème à savoir. Choc puis joie.

A partir de là, pendant toute la grossesse, il m'a soufflé le chaud et le froid : tantôt prévenant, aux petits soins, tantôt distant voire odieux, ou tout simplement absent, sans donner de nouvelles.

 

Le 25.06 les choses se gâtent pour la 1ère fois : menace de fausse couche, je suis hospitalisée en urgence.

Heureusement tu t'accroches.

 

Puis le HT21 suspect : il faut faire une amniocentèse (de plus j'ai 38 ans à l'époque).

Le 11.08, jour de l'éclipse, je me pointe pour l'amnio. Verdict après une écho de contrôle : pas assez de liquide amniotique, il faut revenir la semaine prochaine. De plus tu bouges tant que tu peux, tu fais du toboggan et des pirouettes, tu es bien vivante !

Dans l'intervalle, je me saoule à l'eau minérale dans l'espoir d'augmenter la quantité de liquide.

Bingo, le 18, action ! Je te dis intérieurement : "Tu te mets dans un coin et tu ne BOUGES surtout PAS !" C'est exactement ce que tu as fait...

 

Viennent les longues semaines d'attente avant d'apprendre enfin que tout est nickel, tu es une petite fille parfaitement normale ! Je vais désormais pouvoir vivre sereinement le reste de ma gestation. Du moins, c'est ce que je crois...

 

Car c'est à ce moment-là, mi-septembre, que ma tension commence à grimper, grimper...

Je n'écoute pas le gynéco qui veut « m'arrêter » tout de suite : il faut que je prépare le terrain pour mon remplaçant, 15 jours de boulot intensif et de nombreux déplacements. Si seulement je n'avais pas fait la sourde oreille...

 

A l'écho, tu es trop petite. Je ne le sais pas, mais tu commences déjà à souffrir de la situation.

 

Le 1.10, je m'arrête enfin. Mais les oedèmes apparaissent. Le 4.10, 2 kg de plus. Mon gynéco est absent, je n'ose pas déranger son confrère.

Le 11, à son retour, je me précipite sur le téléphone. J'ai pris en moyenne 500g par jour, je suis toute gonflée, j'ai le coeur qui bat à 40 pulsations/min. seulement.

RV d'urgence : gygy, écho doppler, cardio.

Le doppler est mauvais, Daya n'a pratiquement pas grandi, ma tension est élevée.

 

Le 19, le gynéco parle de m'hospitaliser le lendemain. Le cardio, qui a diagnostiqué une bradycardie sinusale chez moi, me pose un Holter ECG.

Je viens de déménager ce w.e. (merci Jean-Luc, ton papa, Maman, Françoise, Anne-Marie, la famille et les amis qui m'ont aidée ou plutôt fait le reste du boulot à ma place). Mon ancienne proprio, charmante par ailleurs, choisit ce jour pour me harceler au téléphone.

 

A minuit, bruit dans l'immeuble. Je me réveille en sursaut, j'ai mal dans la poitrine, une douleur en barre insoutenable à l'estomac et de violents maux de tête. Je ne veux pas comprendre ce que je suis entrain de comprendre, avale du paracétamol, de l'argile, en vain bien sûr.

1h, j'appelle la sage-femme qui me demande de venir illico. La TA est à 19/11.

 

Je passe la nuit en salle d'acc' mais tout dérape : il faut me transférer en SMUR à l'hôpital, grossesses patho.

J'arrive au bord de la crise d'éclampsie, pré-comateuse, avec un oedème cérébral, des tremblements pré-convulsifs, et je me vide à cause des maux de tête. Le gynéco qui m'a accueillie m'a avoué par la suite n'avoir pas été certain de pouvoir me tirer d'affaire.

 

Quand mon état finit par se stabiliser, on m’annonce qu'il faudra sans doute une césarienne d'urgence "pour vous sauver la peau".

C'est le monde à l'envers. Depuis quand sacrifie-t-on un enfant pour sauver la mère ?!?

Je pleure toutes les larmes de mon corps. Jean-Luc est là, ma soeur aussi.

 

Finalement la poursuite de la grossesse peut être envisagée. Tout est évalué heure après heure, j'ai une à quatre prises de sang/jour, une quadruple perfusion, monitoring 2X/j, échos etc...

Daya n'a toujours pas grandi, cela devient très préoccupant.

Je ne le sais pas, mais je suis entre la vie et la mort. Mon foie commence à se nécroser, les reins fonctionnent mal, des caillots se promènent dans mes vaisseaux (CIVD), je n'ai plus assez de plaquettes et risque à tout moment tous types d'hémorragie.

 

J'oscille entre l'espoir et l'effondrement, je fais le vide des relations et des sentiments qui me prennent de l'énergie, je ne pense qu'à une chose : que l'on puisse sauver Daya.

 

Mes parents, mon frère et surtout ma soeur sont très présents, ainsi que Marie-Hélène, ma meilleure amie, mon rayon de soleil. Jean-Luc, c'est en fonction de l'humeur du moment...

 

Mais il faut prendre une décision urgente et douloureuse : laisser mourir Daya à petit feu dans mon ventre ou tenter une césarienne pour lui donner une infime chance de vivre, à laquelle les pédiatres ne croient d'ailleurs pas.

 

J'opte pour la césar', programmée le 29.10, on me fait des IM de corticoïdes pour la maturation pulmonaire de Daya.

 

Le 28, j'enregistre au baladeur ses battements de coeur.

 

Le 29 à 6h, je la sens bouger alors qu'elle ne bougeait presque plus ces derniers jours. Je ne sais pas qu'elle me dit "au revoir".

 

10h30, dernier monitoring avant d'aller au bloc. C'est une sage-femme enceinte au même stade que moi et de retour de vacances qui cherche, cherche, l'air préoccupée. Elle plaisante : "Je ne suis pas douée !".

Echo d'urgence. Je regarde l'interne : "Vous l'avez vue bouger, hein, vous l'avez vue bouger ?".

Elle secoue tristement la tête.

 

J'ai envie de hurler mais je me tais. Ma mère, présente, a assisté en direct au diagnostic du décès. Elle se jette sur moi dans un geste de compassion, je la repousse, je veux respirer, être seule pour pleurer et comprendre ce qui m'arrive.

 

Puis tout va très vite, comme un tourbillon : on va me déclencher l'accouchement par voies naturelles, je préviens Jean-Luc qui brille par son absence et ne s'est même pas déplacé le jour de l'accouchement, Françoise qui pleure au téléphone, le compagnon de Marie-Hélène qui est absente.

 

Naissance le lendemain à 13h45, sans péridurale (risque d'hémorragie méningée) j'ai mal dans tout les sens du terme.

 

Puis vient un îlot de douceur : je la tiens dans mes bras, elle a l'air seulement endormie, je la trouve belle, j'ose à peine la caresser de peur de fendre sa peau fine comme de la soie.

Maman nous prend en photo, elle est restée à mes côtés durant tout l'accouchement.

 

Daya sera enterrée le 05.11, dans la plus stricte intimité, après une petite cérémonie d'adieu où chacun apportait ce qu'il voulait : une prière, un poème, un morceau de musique...

Elle est partie comme la fin de la sarabande de la cinquième Suite pour violoncelle de Bach, dans un souffle à peine audible...

 

 

Anne de Daya, septembre 2005

 

 

Voir le faire-part de décès de anib13.gif" Daya"

Voir la lettre anib13.gif "Pour qui je vivrai"

Voir les poèmes anib13.gif "Sous les ponts de la vie", anib13.gif "Un vide en forme de berceau", anib13.gif "Mon trésor éternel" et anib13.gif "A l'enfant que je n'aurai jamais"

 

 

 

 

 

 

  arrow04a.gif Retour liste des poèmes/lettres/récits/dessins

arrow02a.gif Retour page d'accueil