Et Ange passe…
Il faut croire que ce qu’on dit est vrai : la fréquentation de femmes
allaitantes améliorent la fécondité des femmes alentour.
En tout cas, il est sûr que le congrès LLL, ces centaines de mamans
allaitantes et de jeunes bébés, de ventres ronds mettaient en
appétit mon utérus en pleine ovulation.
Le congrès est terminé, je commence à travailler en CDD
chez Nathalie, et je me sens si fatiguée, si « différente
» pour cette période du cycle, mais ce doit être la reprise
d’un rythme différent, pas possible autrement. La fatigue c’est normal
rien que les 2h30 de route l’explique, pas d’œdème prémenstruel
ben pas d’explication mais bonne nouvelle, les contractions lors d’un mouvement
brusque ou d’une émotion vive, alors là ?
Pourtant à J35, alors que mes cycles sont parfois beaucoup plus longs,
je me sens poussée à faire un test, il le faut. La veille, 25
novembre, nous discutons longuement avec Gérôme. C’est sûr,
si le test est positif nous ne pouvons garder ce bébé, trop tôt,
trop de fatigue, trop petit logement, trop petit revenu, d’autres projets en
cours…Le lendemain pourtant, lorsque seule dans les toilettes, alors que pour
moi il est impossible qu’il soit autrement que négatif, la petite croix
apparaît, le monde s’écroule, j’ai un bébé en moi
et il me remplit en une fraction de seconde. Savoir que c’est lui que je sens
depuis 15 jours, oui bien lui et pas autre chose devient une évidence,
c’est mon enfant et je suis bouleversée par ce que je vais devoir faire
: choisir de le tuer. Je sors des toilettes en larmes, je me sens obligée
de respecter la décision prise en commun la veille, je commence à
parler, à dire que je ne sais pas comment faire, comment me renseigner,
comment se font ces « choses-là » quand Gérôme,
mon homme, mon tendre me répond d’une voix pleine de larmes : «
mais je ne peux pas tuer notre bébé, c’est impossible ».
Pour lui aussi, ce petit + sur une languette en plastique est une évidence,
notre enfant grandit en moi, pousse et nous pousse à l’accueillir, il
ne peut en être autrement.
Les jours qui suivent sont pleins de doutes par rapport à la situation
financière, à notre fatigue, pleins de malaises, par rapport à
nos parents, nos familles qui ne comprendraient pas, nous sommes heureux de
cette nouvelle vie à accueillir et puis angoissés face à
la situation inconfortable aussi bien matériellement que psychologiquement.
11 décembre, fin de matinée, je suis prise de très violentes
douleurs dans le bas ventre qui me conduiront aux urgences, je n’y crois pas,
impossible que quelque chose ne tourne pas rond, ce doit être mes intestins
mais par mesure de sécurité, j’y file quand même, seule,
anxieuse d’être seule face au gynéco de garde anonyme. Là,
échographie, TV et touti quanti qui révèle un léger
décollement. Je suis arrêtée pour 3 semaines, au repos,
je dois lever le pied pour permettre à mon Tinoeuf surprise de continuer
le chemin avec nous. 3 semaines d’angoisse, de colères aussi parce que
je n’arriverai pas à me reposer « comme il faut » seule avec
les 3 puces, en période de vacances de Noël, avec une grossesse
encore cachée à l’entourage et je ne veux pas de toutes façons
leur demander d’en assumer une partie via de l’aide, c’est notre choix de garder
ce bébé, et nous devons l’assumer, pas envie qu’on nous le reproche
ensuite. Noël passe, la famille ne remarque rien, Chloé et Eloïse
tiennent leurs langues, elles parlent autant qu’elles veulent du bébé
à venir à la maison et avec nos amis mais n’en disent rien autrement,
on peut compter sur elles, c’est agréable.
29 décembre, je n’y crois plus, Nicolas vient garder Eloïse et Chloé
pendant que nous allons à l’échographie de contrôle avec
Ysée. Pour moi c’est fini c’est sûr, je n’ai jamais pu pendant
ses 3 semaines me reposer, je suis à bout, pour moi notre bébé
n’est plus. Et pourtant quelle joie de voir apparaître ce petit corps,
ce petit cœur qui bat comme un métronome, les projets reprennent, le
sourire revient, la vie normale aussi, puisque notre bébé va bien,
tout ira bien à présent, il ne peut plus rien lui arriver.
Nouvel an dans l’intimité, le lendemain, Jaco, le perroquet familial
vieux de 33 ans meurt, Maman m’en avertit par mail, je lui réponds les
yeux pleins de larmes, trop pleins de larmes, trop brouillés pour voir
ma signature automatique, et l’annonce non voulu de la présence de Tinoeuf.
Bon voilà, Maman est au courant, gloups, ce n’est pas du tout comme cela
que nous comptions annoncer notre 4è enfant, dommage maintenant, on assume.
Et Maman assume avec nous, accepte cet invité surprise, ce petit cadeau
bonus mais nous nous inquiétons pour la santé de Papa à
l’annonce de cette grossesse donc pour l’instant, nous ne disons rien.
La semaine qui suit nous allons à Lille fêter l’anniversaire de
Zoë, jolie puce de 2 ans, aller-retour dans la journée parce que
les filles sont intenables.
Les jours se suivent et se ressemblent, je suis pleine et heureuse de ma grossesse,
j’ai rencontré la SF libérale qui nous accompagnera, qui nous
suivra médicalement, nous sommes sur la même longueur d’onde, elle
est très agréable c’est super. Je me concentre sur la naissance
de notre bébé, j’ai envie que la question du lieu, de l’ équipe,
du comment soit réglé rapidement, qu’on puisse ensuite se consacrer
exclusivement au bébé, à la Vie qui grandit en moi et non
plus à l’acte d’accouchement en lui-même. Envie de lui promettre
une naissance respectueuse même si elle sera loin de l’accouchement rêvée
pour moi, mais le chemin s’avère plus ardu que je ne pensais.
Le 16 janvier je suis à Paris au ministère de la Santé
pour une réunion sur la refonte du carnet de maternité. Sur le
trajet je m’avale le dernier livre de Michel Odent sur la césarienne.
Je suis révoltée, écoeurée, coupable, triste. Je
n’ai pas le choix, je dois subir une nouvelle césarienne pour protéger
ma famille, pour mieux vivre ma grossesse pour garantir à mon Tinoeuf
un bel accueil mais que c’est dur de relire en condensé toutes les implications
de ce geste, de cette opération. Je suis patraque, déboussolée,
triste et mercredi, l’écho « officielle » du 1er trimestre
arrive.
18 janvier, 1er écho, simple formalité à remplir pour nous,
on aurait même pu s’en passer mais bon, montrons patte blanche pour un
futur suivi et puis nous emmenons Chloé, passionnée de tout ce
qui touche au corps humain et à la grossesse, elle est heureuse et fière
de venir avec nous alors que ses sœurs cadettes sont gardées par nos
amis Céline et Fred qui ont fait le déplacement depuis le 77 pour
l’occasion. Je suis sereine, un peu excitée, je ne m’explique d’ailleurs
pas cette excitation. Dans la voiture, Chloé d’un coup nous dit : «
j’ai peur, j’ai peur, quelque chose de grave, de très grave et de triste
va arriver ». Sa phrase me glace le sang, j’évite d’y penser. Nous
arrivons. J’entre seule d’abord dans le cabinet pour une endo-vaginale, je ne
sais pas pourquoi je ne lutte pas pour y échapper, je me dis que ce n’est
pas la peine. Et je vois. Le médecin fait entrer Gérôme
et Chloé, ils s’installent, Chloé est toute excitée. Et
là, ce que j’ai vu, ce que Gérôme a vu également
est dit oralement. « Je n’ai malheureusement pas de bonnes nouvelles à
vous annoncer ». Notre bébé est mort, mort dans mon ventre
depuis 2/3 semaines déjà. Le médecin nous propose très
gentiment de tout organiser avec l’hôpital pour nous, nous refusons gentiment.
Nous avons besoin de temps pour accuser le coup, pour faire notre deuil, pour
comprendre ce qui vient de se passer.
J’accepte la mort de mon bébé, ce bébé si fragile
dès le départ, si fragile rien que dans son arrivée parmi
nous, dans son « droit » d’être là. J’accepte qu’il
nous quitte, je sais que s’il le fait maintenant, c’est pour nous épargner,
à nous et a lui aussi, des souffrances bien plus terribles plus tard.
Ce que je n’accepterai pas, c’est qu’on me l’arrache du ventre, qu’on me le
casse, qu’on me le jette aux ordures. Je ne peux pas accepter qu’on vienne chercher
mon tout petit dans mon ventre, je veux pouvoir lui donner naissance moi-même,
ne pas subir encore une opération. Je veux lui donner une fin digne,
un départ intègre. Alors j’attends. J’attends et je teste des
méthodes naturelles pour aider le travail à se mettre en marche,
pour mettre au monde mon bébé décédé, mon
Ange. Je cherche à comprendre la raison de sa mort, pas la raison médicale,
non, sa raison… «pédagogique », sa mission, le message qu’il
avait à nous transmettre par son passage si bref et forcé dans
nos vies. C’est dur, ambivalent comme période, comme sentiments, entre
sérénité et continuité, et anéantissement
et fin de tout.
Une semaine que nous savons que je porte notre enfant mort, environ un mois
qu’il nous a quitté, que son cœur s’est arrêté de battre,
et toujours mon corps refuse de le laisser partir. Malgré l’homéopathie,
je n’arrive pas à m’ouvrir, le placenta est toujours bien accroché,
je le sais, sinon j’aurai déjà récupéré une
lactation normale, les autres signes de grossesses ont tous disparu dans les
48h qui ont suivi l’annonce du décès d’Ange. Encore une fois,
nos décisions inquiètes ma famille, troublent l’ordre établi
des choses. Mais Ange a réveillé en moi toutes les douleurs latentes,
je cherche à être accompagnante en périnatalité,
à guider des couples dans leur histoire de parentalité, dans leur
choix, à être animatrice Césarine, à soutenir et
informer sur la césarienne alors que ma propre histoire est encore si
présente, tellement à vif. La mort d’Ange me montre que je ne
suis pas prête à accomplir mes projets, et tout s’écroule,
nos projets de vie future, je suis moins que rien, je ne suis plus rien.
10 jours que nous savons qu’Ange est mort, je n’en peux plus, je suis à
bout, grâce à Sophie, grâce à mes amies, j’arrive
enfin à appeler le groupe E.R.I.C., à demander de l’aide, à
accepter de l’aide. Et ça me fait du bien. 11 jours, je rappelle ma SF
qui me conseille un cocktail pour aider mon corps à laisser Ange partir.
Le lendemain soir, samedi, je tente. Quelques pertes marron dans la nuit, puis
surtout une gastro pour toute la famille. Dimanche nous sommes obligés
de confier les 3 puces tellement nous sommes malades Gérôme et
moi. Côté utérus, pas grand-chose à signaler à
part quelques contractions timides. Je laisse un message sur le répondeur
de la SF. Lundi, Gérôme reste à la maison, il est malade.
13 jours que nous savons qu’Ange ne sera jamais dans nos bras, je ne peux toujours
pas concevoir qu’on me l’enlève et surtout que son corps soit abîmé,
non respecté. Pourtant je n’en peux plus de cette attente, je déteste
mon corps qui me fait faux bond à chaque naissance, il faut que ce bébé
nous quitte vite à présent. En fin d’après midi, la SF
me rappelle, pour elle, si le cocktail n’a pas fait effet c’est qu’il n’y a
plus à espérer. Mon corps ne saura encore une fois pas donner
naissance, même à un si petit enfant, même à un enfant
mort. Poussé un peu par Maman, nous allons aux urgences, programmation
d’une aspiration sous anesthésie générale pour le lendemain,
mardi 31 janvier 2006. Rendez-vous à 7h30.
Chloé et Eloïse dorment déjà quand nous rentrons des
urgences, mes parents vont les garder pour la nuit, nous redéposerons
Ysée au petit jour. Papa s’occupera des puces, je suis attendrie, anxieuse
et gênée d’imposer cela.
Pendant la nuit, j’ai des pertes marron, et des contractions. Elles n’y sont
vraiment pas allées de main morte les gynéco de garde avec leur
spéculum ! J’ai peur, vraiment très peur et je suis si triste
pour mon pauvre bébé. Si triste de ne jamais le tenir dans mes
bras, de ne pas pouvoir lui donner une fin convenable.
Mardi 31 janvier 2006, le jour le plus long.
6h, réveil, 6h30 départ, à jeun pour moi, à jeun
pour Gérôme aussi qui est toujours un peu malade de la gastro.
Nous déposons Ysée chez mes parents, déposons un baiser
sur le front d’Eloïse et Chloé encore endormies. 7h départ,
7h30 arrivés à l’hôpital, service « chirurgie urologie,
digestive et gynécologique » un peu de tout en somme…Nous sommes
installées en chambre, déjà commence les banalités
« bah vous en avez déjà 3 et vous êtes si jeune »,
déjà la dominante de la journée se profile, on ne sait
pas à quelle heure sera mon tour.
L’attente commence. Ma voisine de chambre est une téléphage, branchée
sur TF1, les feux de l’Amour et autres soap opera et jeux télévisés.
J’ai besoin de pleurer, de crier ma douleur mais je ne peux le faire je ne me
sens pas en sécurité pour le faire avec cette télé
qui hurle. Nous sortons dans les couloirs, un couple arrive, avec un bébé…
Mes larmes coulent, un bébé comme celui que je ne tiendrai jamais
dans mes bras. Nous rentrons dans la chambre. Les feuilletons de ma voisine
parlent tous de femmes enceintes, de nouveaux nés, c’est un acharnement.
Celles qui ne s’acharnent pas par contre, ce sont les infirmières à
nous tenir au courant et à nous aider. Nous sommes transparents, invisibles,
notre douleur n’existe pas, mes larmes et mes sanglots n’appellent rien. Nous
ne sommes là que pour une aspiration, pas pour une douleur. Aucun accompagnement
ne sera proposé. Gérôme à l’admission s’entendra
dire « ah vous venez pour un IVG », fichtre quel tact ! On me demandera
« Mais celui là aussi était voulu ? ». Midi, toujours
rien, Gérôme va se renseigner, on lui dit que je suis la prochaine
sur le programme du bloc. Ouf, s’ils tardent trop, je ne pourrais pas sortir
ce soir et il est hors de question que je dorme sur place, que je ne sois pas
entourée des miens ce soir, que j’impose à Ysée une nuit
sans moi, elle qui a encore tellement besoin de tétées nocturnes.
14h, toujours rien « ils ont du retard » mais moi, mes contractions
s’imposent de plus en plus, et m’imposent de plus en plus de me centrer sur
elle, sauf que la télé hurle toujours et m’empêche de créer
ma bulle. J’essaie bien de m’enfermer dans les toilettes de la chambre, mais
ma voisine en a besoin également avec sa cystite et ce n’est pas vraiment
confortable. Je saigne, je perds un peu. Finalement, cette attente me permettra
peut-être de mettre mon bébé au monde, de lui donner ce
départ désiré. Mais si l’espoir renaît pour nous,
l’attente et l’angoisse de savoir les filles loin de nous sont toujours présentes.
15h, toujours rien côté bloc. 16h, toujours rien. Je tiens Maman
au courant régulièrement. Un visiteur pour ma voisine, ils disent
des prières dans leur dialecte africain, ça me porte. Mes contractions
s’accélèrent, et s’allongent. 16h30 l’équipe a changé,
je suis au programme pour 17h06 au bloc, et oui même si l’heure est tardive
cela ne pose pas de problème pour une sortie. Je suis rassurée.
Je vais pouvoir dormir dans mon lit ce soir, quitte à signer une décharge.
17h, toujours personne. 17h30 je renvois Gérôme à la maison,
pour qu’il soulage mes parents, qu’ils rassurent les puces et qu’ils organisent
la journée de demain. C’est ce moment que choisit le brancardier pour
venir me chercher.
J’ai peur, ça y est, je vais être seule, je vais être endormie,
ne plus rien contrôler, je vais être vidée, perdre mon bébé
définitivement, et sans aucun retour possible. Gérôme s’en
va mal à l’aise. Je m’en vais malgré moi aussi. Le brancardier
me demande pourquoi je vais être opérée. «Pour m’enlever
mon bébé mort ». Il ne dit plus rien.
J’arrive au bloc, la 1ere personne que je vois se présente comme anesthésiste,
très désagréable, je lui parle de signer la feuille de
sortie pour ce soir comme ils m’ont dit de faire à l’étage, elle
me répond assurance, médico-légal etc.
J’entre dans le bloc, je passe sur la table d’opération, j’ai froid,
j’ai peur. L’anesthésiste (un homme gentil) me propose une rachi finalement
au lieu de l’anesthésie générale, pour que je sois sur
pied plus vite. Je suis heureuse, rassurée, et un peu apeurée
aussi. Heureuse d’être aidée pour une sortie juste après,
rassurée de ne pas être endormie, rassurée d’accompagner
Ange jusqu’au bout, et apeurée aussi de le vivre, d’en être témoin.
Je suis perfusée, branchée, une infirmière voit les larmes
couler sur ma joue et me dit « ah ben non, faut pas pleurer hein comment
on continue à bosser nous sinon » Je lui en veux, elle croit quoi
? Que la mort de mon Ange me donne envie de lui raconter des blagues à
elle pour lui remonter le moral à elle alors que personne ne s’est préoccupé
du nôtre ?
La rachi est posée, je les entends préparer tout, pas encore vu
le gynéco qui sera l’interne de garde, dommage, j’aurai aimé le
D. P. qui a répondu si positivement à mon projet de naissance.
Le bloc est plein d’intérimaires, ils ne se connaissent pas, ne connaissent
pas bien le bloc, ni les habitudes « de la maison ». Je les entends
préparer « Dis, je passe des antibios ? Ah, non ? Vous mettez pas
d’antibios ici pour un IVG ?» Mais ce n’est pas une IVG bon sang ! Mon
bébé aimé et désiré est mort malgré
moi et vous allez me l’arracher, malgré moi encore !
Allez Madame, faut pas pleurer ce sera bientôt fini et puis vous en referez
un très vite de bébé. Ben non, on n’en refera pas un très
vite, j’aimerais pouvoir remplir ce vide qu’Ange va nous laisser très
vite mais la raison le refuse vraiment et puis, non je voudrais attendre au
moins juillet, c’est bête mais j’ai vraiment envie, besoin d’un bébé
de printemps/été.
La rachi commence à faire effet, mais je bouge encore les pieds, je contracte
toujours les fesses, je sens toujours mes contractions. C’est normal, ils ont
mis une dose bien moins importante que pour une césa. Evident en effet,
mais angoissant aussi. La gynéco est là, Olga elle s’appelle.
Elle ne perd pas de temps, se prépare, et c’est parti. Après avoir
vérifié que malgré mes mouvements je ne sentais pas la
douleur, elle pose les bougies destinées à forcer mon col qui
heureusement sous l’effet des contractions depuis hier soir est passé
antérieur et non plus postérieur. Puis l’aspiration est lancée,
je la sens, je l’entends, je pleure, je suis si triste. C’est bientôt
fini. L’infirmière me pique une dose de Synthocinon en direct dans la
perfusion et s’en va. Une violente et piquante douleur me prend à la
main alors que mon utérus aussi devient sensible, tout à coup,
panique, ma tête est sur le point d’éclater, je brûle, mes
mains mes lèvres, mon torse sont pleins de fourmillements. J’essaie d’appeler
mais rien ne sort, il n’y a plus personne autour de moi, je vais vomir, je suis
seule, je vais mourir. Ma tête, mes filles, mon Gérôme, je
ne suis pas prête à partir avec Ange maintenant.
Puis l’infirmière revient : « vous allez peut-être ressentir
une douleur c’est le produit que j’ai injecté » Oui et bien ce
serait sympa de prévenir avant la prochaine fois ! Je ne peux même
rien répondre tellement je suis mal. Mais voilà tout est fini.
Je vois un infirmier sortir en emmenant Ange quelque part. Il ne m’appartient
plus mon bébé, il fait partie des déchets de l’hôpital.
On me débranche, on me remet dans une position plus digne, mon intimité
n’est plus un hall de gare. Je vais en salle de réveil. Je pleure, «tout
est fini maintenant », et justement, c’est ce qui me rend si malheureuse
que tout soit fini, que plus rien d’Ange n’existe à part son souvenir
dans nos cœurs à présent.
« Ben faut pas pleurer comme ça Madame, y a pas de raison »
Je pourrais pourtant en citer des centaines si elle avait 5 minutes pour les
entendre, mais le bloc est en effervescence, ils ont des interventions à
la chaîne, un abcès du sein après moi, une césa en
urgence…
Je bouge déjà les jambes, l’heure qui suit me paraît interminable,
on attend juste le retour de l’anesthésiste pour signer le dossier de
sortie, j’ai presque envie de me lever pour remonter en chambre à pied.
20h enfin, je sors de la salle de réveil, on me sert à manger,
je me jette sur le téléphone pour prévenir que je suis
toujours en vie, et prête à sortir avec les félicitations
de l’anesthésiste. L’infirmière m’a interdit de me lever toute
seule. Mais elle ne revient pas. Dès que Gérôme arrive je
me lève, j’essaie d’aller aux toilettes mais mon bassin, mes fesses et
mon sexe sont toujours totalement endormis. On attend, on attend qu’ils signent
les papiers. 22h, je m’habille, on se balade dans les couloirs avec la perfusion,
histoire de bien leur faire sentir qu’on ne compte pas s’attarder.
« Vous êtes bien totalement réveillée, vous avez fait
pipi » Oui, oui bien sûr répondrais-je, même si l’anesthésie
ne perdra totalement ses effets qu’après mon coucher à la maison.
A 22h30 enfin nous sommes dehors et pouvons récupérer nos puces,
tendrement endormies dans le salon de mes parents, Ysée dans les bras
de mon Papa. Quelle tendresse et quelle joie en voyant cela d’ailleurs, en voyant
qu’il accepte de ne pas la poser une fois endormie, qu’il accepte de la suivre,
de l’écouter dans ses besoins. Je t’aime Papa, même si jamais je
n’ai pu te le dire.
Dans la voiture, Gérôme reçoit un message de Loo, de tout
le forum MCOA, je suis tellement touchée par ce soutien, par ces pensées
qui vont vers nous. Nous couchons les filles, je donne de nos nouvelles sur
le forum pendant que Gérôme bosse un peu, je prend une douche,
me lave de toute cette journée et me glisse tout contre Ysée qui
ne réclame qu’à téter.
Une nouvelle journée commence aujourd’hui, avec une nouvelle vie à
construire, la vie après le passage d’Ange.
…un Ange est passé.
Nusch,maman de
Chloé, Eloïse, Ysée et
+Ange+
Juin 2006
email: nusch@neuf.fr
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