Je suis en prison et j'en ai pris pour perpétuité

 

 

Dans un mois, je vais avoir 39 ans.

A l’aube de mes 40 ans, je viens de perdre mon bébé.

Après 13 ans de galère, traitements, 5 inséminations artificielles échouées, puis depuis 2000, 3 fausses couches à même pas un mois de grossesse, 3 fausses joies.

 

Après mûres réflexions, nous nous sommes lancés dans l’aventure d’une FIV ; dur parcours du combattant. Le professeur à POITIERS avait signé l’accord, le protocole est dur et long. Nous devions commencer dans 2 mois.

Puis, par miracle, naturellement, je suis enceinte ; alors, avec mes antécédents je fus tout de suite en arrêt maladie pour une grossesse à risques.

 

Pendant les 3 premiers mois j’espérais sans trop m’attacher. J’avais des piqûres tous les 2 jours puis j’ai eu une amniocentèse car avec l’âge, c’était plus prudent. L’attente fut longue mais les résultats parfaits. J’attendais mon petit garçon avec sérénité. Là, j’ai vécu les plus beaux jours de mon existence, fière de mon «gros ventre » et de mon nouveau statut de maman. On devient mère lorsque l’on sent son enfant en soi. Lorsqu’il bougeait, je lui parlais, je jouais avec lui, il me répondait, je le berçais et fondais d’amour, c’était merveilleux. Et puis, il me tardait de le voir physiquement, il ne pouvait qu’être beau puisque c’était mon petit bout de chou.

 

Nous avons préparé sa petite chambre bleu et jaune comme le soleil, ses peluches, ses biberons, ses Pampers, ses layettes, tout l’attendait, la nounou était trouvée. Il ne restait plus que 2 semaines, pas tout à fait, avec ma césarienne qui était programmée.

 

Il ne me reste physiquement qu’une cicatrice, trace indélébile d’un accouchement tragique, 5 photos de mon petit Théo mort né en décomposition, une mèche de cheveux et une multitude de projets auxquels il ne m’appartient plus de rêver .

 

A 7 mois, on s’est aperçu qu’il avait un petit retard de croissance, mais peut-être sera-t-il menu ? On le disait hypotrophique. Par mesure de précaution nous faisons des monitorings régulièrement pour contrôler son rythme cardiaque. On ne voulait pas prendre de risques, pour qu’il ne souffre pas, on avait décidé une césarienne.

 

Le 2 mars, je rentrais juste dans mon 9° mois, il était en siège, l’accouchement était prévu pour le 17.

 

Tout allait bien, sauf qu’il ne rattrapait pas son retard. Il était toujours « plus petit que la moyenne, en poids seulement », car en taille, il mesurait 50 cm à la naissance et la moyenne est de 46,89 cm. Son rythme cardiaque était bon. Puis le lendemain je n’ai plus senti bouger mon bébé, je me suis rendue chez ma gynéco, soucieuse, mais pleine d’espoir puisque tout allait bien la veille. Je trouvais qu’il dormait un peu trop à mon goût. Installée confortablement, elle commença une écho. Elle avait tourné l’écran vers elle, son visage était bizarre, je lui dis le cœur battant : « Ca va ? rien de grave ? » La seconde de silence qui a suivi avant qu’elle ne me réponde fût celle de l’ajustement d’un fusil braqué sur moi et les mots qui ont été prononcés ensuite furent les balles qui m’ont tuée : « Votre petit garçon a cessé de vivre : il ne respire plus

 

Elle a éteint son écran.

 

C’est tout ce qu’il me reste de l’annonce du décès de mon fils.

 

On a prévenu mon mari qui est venu aussitôt. A partir de là, je suis restée prostrée, il y a eu une rupture, ce temps dont on ne peut parler car il est une sidération ; le trou, le néant, seule face au « malheur absolu ». Je suis rentrée en léthargie pendant les 4 jours qui ont suivi le décès de mon petit.

 

Protocole oblige, paraît-il, on m’a donné des comprimés pendant 2 jours, jeudi et vendredi puis on a programmé un accouchement normal pour le lundi (à cause du week end, sans doute). Je le portais en moi, mort, l’enveloppant encore de mes mains protectrices de mère, recroquevillée en chien de fusil. 4 jours sans manger, avec somnifères, 4 jours sans repères, sans plus aucun signe, sans trace, dans un monde devenu fade, froid, où le temps est infini, indéfini et où des moments de brève lucidité, je pensais :  « Je fais un horrible cauchemar, mon bébé est là, blotti tout contre moi, au chaud, mon ventre  est gros, il va naître bientôt ».

 

Puis il y a eu la rentrée à la clinique, ce dimanche 7 au soir, ma valise dans la main de mon mari, moi le suivant, soutenue par son autre main, avançant telle une zombie.

 

Dans le hall, je me suis assise, j’étais toujours prostrée, les yeux hagards pendant que mon mari faisait mon entrée. J’ai entendu les nourrissons plein de vie qui pleuraient et là, n’en pouvant plus, ne me retenant plus, je poussais des petits cris de bête en explosant en sanglots ; j’ai cru devenir folle. Les gens, les yeux braqués sur moi, me dévisageaient ou me fuyaient. Les uns devaient penser  « elle est dingue », les autres devaient penser qu’un drame se jouait pour moi.  Sans forces, on m’a traînée en chirurgie pour ne pas en rajouter à ce trop plein de souffrance. Je suivais l’infirmière sans résistance dans ce couloir de la mort jusqu’à la porte 15, cellule sans barreaux, la porte qui aurait du être celle du paradis s’est transformée en enfer.

 

Je suis en prison et j’en ai pris pour perpétuité.

 

Le personnel médical rentrait, sortait, me questionnait. Je ne parlais pas ; j’ai vu des sages-femmes, des psychologues, rien ne sortait, impossible. Je disais seulement à qui voulait l’entendre : « Je suis morte. » Je caressais mon ventre encore plein de mon enfant sans vie et de l’autre je serrais son doudou en velours blanc pour me donner je ne sais quelle force intérieure.

 

Le lendemain, à 5h30, on a commencé à provoquer mon accouchement. Je claquais des dents et mon corps n’était que soubresauts, j’avais 40° de fièvre. Mon corps commençait à réagir à la décomposition de mon enfant. On m’a fait prise de sang sur prise de sang, tout allait mal, analyses désastreuses, impossible de soulager les douleurs par la péridurale à cause de la fièvre et de l’infection. On m’a mise sur un fauteuil roulant pour me monter en maternité pour commencer mon travail. « Il va falloir l’aider à naître » m’a-t-on dit. J’ai gémi de douleur en voyant le petit berceau et la table à langer dans ma chambre. On a vite enlevé tout cela, trop tard et puis j’entendais de près les autres petits pleurer « de vie ».

 

Je me souviens de cette attente « Le beau mal » comme disent les femmes…

 

On m’a mis des comprimés intra utérin pour dilater le col, mes contractions étaient très fortes et rapprochées, mon col ne s’ouvrait pas, pas un ½ cm ! Je ne voulais pas le donner, il paraît ! Alors on décide de me faire une césarienne. Il faut attendre encore, le bloc est pris, ce n’est pas urgent puisque c’est trop tard. Je regardais mon mari qui était comme dans un brouillard, j’ai vomi ; j’ai eu une pompe à morphine, puis je suis partie au bloc à 11h45. On a dit à mon mari qu’il y en avait pour ½ heure pour faire naître le petit et 2h en tout avec le réveil.

 

Je reviens de loin. J’ai eu un massage cardiaque, on m’a fait une entorse cervicale, Théo est né à 13H30 et on m’a ramenée dans ma chambre à 16h. J’ai repris connaissance du lieu, de la réalité, encore fiévreuse, mon petit Théo m’a quittée pour toujours.

 

Maintenant, malgré ma sérénité apparente, la douleur est encore aiguë. Ma souffrance ne se mesure pas à la durée de sa vie mais à l’intensité de l’amour que je lui portais déjà. Théo, mon ange, n’a fait que passer mais il a suscité en moi un débordement d’amour.

 

J’habite Angoulême,  j’aimerais parler à une maman qui a le même profil de vie et qui a peut-être réussi à avoir un autre bébé.

 

 

Roselyne.

 

 

Voir  la lettre anib13.gif "Lettre de Théo à sa maman"

 

 

 

 

 

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