Marvin, il est tout de même né

 

 

Cet enfant, c'est le mien. Il a été une surprise au début, puis un espoir, puis une réalité et un but. Dans tout ce qu'on projetait de faire, on tenait compte de lui.

 

Malheureusement, il est parti, il s'en est allé à six mois de grossesse.

 

Tous les jours, je me demande : « pourquoi ? ». Non pas que je m'en prenne à la vie, mais c'est juste que j'aurais aimé avoir des réponses… Des réponses qui m'ont été refusées !

 

Ca a été la plus grande claque de ma vie car, aujourd’hui, je sais que rien ne vaut la peine de se prendre la tête pour des broutilles. La vie est si imprévisible.

 

Je sais : je suis jeune, j'en ferai d'autres avec l'aide de Dieu… Mais celui là, je l'aimais comme s’il était déjà là. Ca va paraître bête mais nous discutions de temps en temps. Il avait même un sacré caractère ! Tous les soirs, Dédé, mon mari, lui parlait, on lui mettait un cd spécialement fait pour lui de R. Kelly et tous les soirs il faisait la nouba dans mon ventre. Quand on lui parlait, il écoutait sagement et ensuite il donnait de grands coups comme pour s'exprimer aussi. Un jour, il appuyait sur mon estomac et me faisait mal. A chaque fois, je massais mon estomac dans le sens inverse pour le faire descendre plus vers le ventre mais à chaque fois, il remontait. Alors, son papa lui a demandé de descendre et moi-même je lui ai dit qu'il n'était pas très sympa de rester là où ça faisait mal… Il a dû mal le prendre parce qu'il n'a pas bougé pendant 48h ( ! rires)… Il nous a fait la gueule ! Depuis, ses coups me manquaient tellement que je me suis même excusée de l'avoir engueulé et les choses ont repris leur cours.

 

Ce qui me choque le plus, c'est que je n'ai pas eu mal. Je ressentais juste une certaine lourdeur dans le bas ventre et une intuition m'a fait demander à Dédé de m'emmener à l'hôpital le 25 décembre 2003 au soir.

 

Arrivés là-bas, ils m'ont dit que je faisais une fausse-couche et m'ont laissée toute la nuit dans la salle d'accouchement.

 

Le lendemain, bébé s'accrochait toujours. Là, ils m'ont emmenée dans ce qui allait devenir ma chambre et ils m'ont fait toutes sortes de perfusions et de piqûres. J'ai résisté stoïquement en me disant que c'était pour le bien de Marvin mais, déjà, tout le personnel de l'hôpital était super négatif. Le 30, en allant faire pipi, j'ai perdu la poche des eaux. Rebelotte : retour vers la salle d'accouchement et là… rien… toujours pas de contractions. Ils me remmènent vers la chambre. Le 31, toujours en allant aux toilettes, je sens quelque chose entre mes jambes, je baisse la tête et là, je vois un pied. Du coup, je m'affole, je crie, j'arrête pas d'appuyer sur la sonnette pour appeler l'infirmière. Tout le monde courre autour de moi. Dédé n'est pas encore là ; Je n'ai jamais accouché ; Je n'ai pas eu le temps de suivre les cours d'accouchement ; Je ne sais rien de la péridurale, à part qu'il y a des risques de rester paralysée ; Je n'en sais rien mais je ne me sens pas prête. Retour dans la salle d'accouchement. Là, Dédé arrive. Je vais mieux ; je souris même avec lui parce que, bizarrement, je n'ai pas mal mais je pense à mon bébé que je vais bientôt voir : voir ce petit être qui bougeait dans mon corps , ce petit être que nous avons fait avec amour, ce mélange de Dédé et moi, qu'est ce que ça va donner ?

 

La sage-femme arrive et nous explique que le cordon ombilical est sorti avec le pied et que plus bébé sort , plus ce cordon l'étouffe. "Il ne va pas survivre !" nous dit-elle en une fraction de seconde. C'est le cauchemar ! Je pleure ; J’ai des sanglots énormes. Dédé se retient, son visage se durcit, je sens qu'il a besoin de sortir. Tout le monde essaie de me calmer. Je sens Marvin bouger entre mes jambes, du moins son pied est là. Je me remets à espérer.

 

Je les supplie de m'ouvrir mais ils refusent. Peut m'importe à ce moment là. Je sens mon fils bouger et je me dis que tant qu'il bouge, il vit, tant qu'il vit, il y'a de l'espoir ! Je demande à Dédé de prier avec moi. Ensemble, nous prions le Seigneur de nous aider à sauver notre fils.

 

La sage-femme revient toutes les cinq minutes car elle m'a mis, en perfusion, un produit qui est censé me donner des contractions mais toujours rien… Elle commence à désespérer. Moi, je ne ressens aucune douleur. Il est midi… mon ventre se contracte plus mais je n'ai pas mal. Là, on me demande de pousser : je le fais de toutes mes forces en priant en même temps pour que Marvin sorte vite : je me dis que plus vite il sort, moins il a le temps de s'étouffer. Tout à coup, j'entends : « C'est fini. »

 

Quoi ? Qu'est-ce qui est fini ? Il n'est pas sorti quand même ? Je n'ai rien senti ! Il est où ? Où est mon fils ?

 

Ils l'ont emmené, ont essayé de redémarrer le cœur mais c'est fini !

 

Je pleure. Je n'arrive pas à me calmer. Ce n'est pas fini : mon placenta ne veut pas sortir. On m'endort pour le sortir… Je sens qu'on me gifle. Je remonte à la surface. J'entends loin la voix de Dédé qui m'appelle mais je ne veux pas aller vers elle. Je veux rester là où je suis. Il me gifle de plus en plus fort. J'ouvre les yeux : je me rappelle l'horreur de la situation. Là je pleure. Je lui reproche de m'avoir réveillée. Je lui dis que je ne veux pas vivre : je veux partir avec mon bébé.

 

Il est trop petit… Comment il va faire tout seul ? Qui va l'accueillir là-haut ? Qui va l'aider ? Vont-ils bien le faire ?

 

La sage-femme me l'apporte : ils lui ont mis un bonnet, un tout petit bonnet beige.  Je le regarde. Je pleure. Je regarde ce bout-de-chou qui est le mien et que je ne suis pas prête à laisser partir. Je ne veux pas qu'ils me le reprennent. Une heure passe… ils viennent le chercher…

 

Oh cette douleur !

 

Ils me remmènent vers la chambre et là, je ne peux pas me calmer. Tout le personnel médical vient me voir, voir si ça va.

 

Comment ça peut aller?

 

Ils proposent que Dédé reste dormir avec moi. Ils lui apportent un lit. Je demande à sortir de la chambre. Dédé me pousse dans une chaise et nous sortons un peu mais ma douleur est toujours très intense. Nous revenons dans la chambre d'hôpital et là, j'étouffe : je n' en peux plus de cette chambre dans laquelle j'ai tellement espéré ! Dans la nuit, j'ai envie de descendre à la morgue. Je me dis que j'aurais dû lui souffler dans la bouche après l'accouchement, lui faire un massage cardiaque et peut-être qu'il serait revenu à la vie... Bref, je me fais des films. Je suis en train de sombrer dans la folie, je crois. En larmes, je me réfugie dans les bras de Dédé que je réveille du même coup.

 

Le lendemain, dès 9h, je sors de l'hôpital. Depuis, les films me reviennent en tête. J'ai des crises de larmes de temps à autres. Je n'ai plus faim. Je me sens vide. Je me surprends à attendre les coups de pieds de Marvin. Je n'ai vraiment pas faim : si Dédé ne m'obligeait pas à manger, je ne penserais pas à le faire. Mon ventre désenfle trop vite à mon goût. Cette sensation de vide est terrible. Je suis à la maison mais là encore, il y a la chambre de Marvin : celle qui lui était destinée !

 

Les gens m'énervent quand ils me parlent de fausse couche : ce n'est pas une fausse couche !

 

Je sors un peu mais, comme par hasard, je ne croise que des bébés. Ca m'énerve ! Du coup, je préfère rester à la maison. Je me suis coupé les cheveux très courts, à la garçonne. De mon corps, mes cheveux sont ce que j'aimais le plus. J'ai ressenti le besoin de les faire partir avec mon ange. Je ne sais pas où donner de la tête, même si j'ai un mari merveilleux qui m'a promis qu'on ferait d'autres enfants. Mais, à part le fait de retomber enceinte et d'arriver directement à six mois, je ne sais pas si j'ai envie de tout recommencer.

 

En même temps, je voudrais être enceinte maintenant mais il faut attendre trois mois au moins. Bref, je me sens perdue.  J'ai beau essayer d'être forte mais je n'arrive pas à remonter à la surface. Dans les moments où Dédé me fait rigoler, dans la minute qui suit, je m'en veux d'avoir rigolé parce que je suis censée ne pas rire. Je n'en sais rien finalement !

 

Depuis petite, j'éprouve le besoin d'écrire et, en général, c'est dans un journal.

 

Mon fils s'est étouffé avec son cordon. Pourtant, on aurait pu le sauver si on m'avait ouverte et ça c'est dur.

 

Dans toute cette douleur, lorsque je regarde sa photo, je souris doucement parce que sur celle où il a la bouche fermée, il a l'air sévère de sa maman, et bizarrement le nez des D’ALMEIDA (mon beau-père qui m’a élevée et que je considère comme mon père).

 

Je m'accroche tout de même. Je prie et je m'accroche aussi pour Dédé.

 

Je voulais juste que vous voyiez mon fils avec mes yeux, comme moi je l'ai vu. Bizarrement, à chaque fois que je sombre, je regarde sa photo et ça va mieux. C'est contradictoire parce que, en même temps, je me demande pourquoi je n'ai pas le droit de le serrer dans mes bras et de lui donner tout cet amour qui déborde pour lui.

 

 

Aissata Liliane et André

E-mail : lilianehanne@wanadoo.fr

 

 

Voir le faire-part de naissance de anib13.gif "Ryan", né après Marvin

 

 

 

 

 

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