Nino, mon étoile adorée
Mardi 28 février 2006 : je suis fatiguée, si fatiguée. Petit Nino, tu dois naître le 13 mars, jour de l'anniversaire de ton papa, de ton papie aussi. Tout
le monde trouve ça rigolo : "Oh là là, trois générations de garçons
nés à
la même date !". Moi ça ne me fait pas rire, je veux que tu aies TON anniversaire à toi, je veux que tu sois unique, alors j'espère
accoucher avant, d'ailleurs je n'en peux plus. Une maman de l'école me dit ce jour là : "On voit que c'est
pour bientôt, vous avez le ventre qui tire vers le bas." En fin d'après-midi, j'ai quelques
contractions, mais faibles et éloignées. Je dis quand même à ton
papa, quand il rentre du travail : "Ca va peut-être être pour cette nuit !" Il me dit : "De toutes façons, tu as une écho demain, on sera vite fixés." Le soir arrive, à 21h je me sens mal, je m'endors littéralement. Je ne me réveillerai que le lendemain matin. Nino, je t'ai
remercié de m'avoir laissé dormir une nuit complète. Mercredi 1er mars : vite debout, on se prépare, j'emmène Anthéa
avec moi à l'échographie, Léo loin chez papie et mamie, ton papa ne peut pas venir, il a une réunion importante avec un client,
tant pis, de toutes façons, je vais bientôt accoucher !
Arrivées chez le gynéco, Anthéa toujours très sage, le gynéco l'adore. "Alors, tu es toujours triste d'avoir un petit frère, tu préfères toujours avoir une petite soeur ?"
Il m'examine. Le col est ouvert. Je lui dis que j'ai eu des contractions hier, mais que j'ai bien dormi. On passe à l'échographie. Il ne dit pas un mot, c'est sa technique, il n'aime pas qu'on lui parle pendant qu'il travaille, il me l'a répété tout au long de ma grossesse. Puis soudain : "Quand l'avez-vous senti bouger pour la dernière fois ?". Et moi je n'avais pas compris, alors je lui réponds : "Ce matin je crois, hier soir j'en suis sûre." Il me dit : "Il faut aller à l'hôpital tout de suite, le bébé a un problème." Puis il se ravise : "Rallongez-vous, je vais re-vérifier." Et là seulement, j'ai compris : "Il est mort ? Le bébé est mort ?" Il me dit : "Je suis désolé." Et là, j'entends Anthéa, de sa toute petite voix : "Mon petit frère est mort ? Le bébé est mort ?" Oh Anthéa, ma puce adorée, je l'avais oubliée dans la panique. Je m'en voudrais toujours. Pourquoi était-elle là, pourquoi lui ai-je infligé ça ? Nino, pourquoi m'as-tu quittée ? Je n'arrive pas à joindre ton papa, toujours en réunion, je l'appelle 10, 15, 20 fois... Et Anthéa qui répète inlassablement : "Le bébé est mort, le bébé est mort".
Le gynéco revient, il était parti dans l'autre salle passer des coups de fil, trouver un hôpital qui pratique les accouchements d'enfants décédés. Et oui, lui accouche en clinique, et dans le privé, on ne veut pas de toi et moi, mon bébé. Il m'explique la marche à suivre, je lui explique que le papa est injoignable, alors je réessaie, ça y est il décroche : "Viens vite, le coeur du bébé, il ne bat plus." Il me dit : "J'arrive." Je raccroche. Ton papa mettra du temps à arriver, il a paniqué, il ne savait pas où j'étais. Ca y est il arrive, je me jette dans ses bras. "Je veux partir d'ici, il faut qu'on déménage, il faut qu'on s'en aille loin d'ici, je veux partir." Il me répond : "Oui, tout ce que tu veux, je le ferai pour toi." Anthéa part avec la secrétaire, le temps que le médecin nous explique : "Il faut aller dans cet hôpital-là, ils sont au courant, ils vont bien s'occuper de vous. Je suis vraiment désolé, nous aussi, les médecins, ça nous tombe dessus, ça me bouleverse" et patati et patata... Je veux qu'il se taise, qu'il se taise, qu'il se taise...
Nous sortons de là, Anthéa, papa, moi et toi Nino. Il faut trouver
quelqu'un pour garder ta soeur. Nous ne connaissons qu'une personne susceptible de le faire, et oui, on
habite à 1000 kms de nos familles, alors on n'a pas le choix. Je laisse ta soeur chez une amie, ça me brise le coeur, mais il faut y aller. Sur le chemin de l'hôpital,
nous sommes coincés dans un cortège funèbre, à la sortie d'une église.
Enfin arrivés.
Et là ça commence : "Antécédents, drogue, alcool, cigarettes, infection, fausse couche, ivg, échographie, dernières règles ?" Questions, questions et encore questions... Et encore une fois, au changement d'équipe. Les contractions sont douloureuses, très rapprochées, il est 14h environ, j'ai appris à 9h30 que tu étais mort. Je ne veux pas accoucher de toi, je veux te garder encore un peu, juste un peu... Ton papa et moi sommes dans une situation surréaliste, par moments nous pleurons, par moments on déconnecte complètement, on se moque du mobilier :"Tu as vu comme c'est moche ?", et "La sage-femme, tu as vu sa tête ?".
Ca peut paraître indécent, mais nous étions ailleurs, nous ne savions même pas que les bébés pouvaient mourir in-utéro. Fausse couche on connaît, prématurité on connaît, mais la mort in-utéro, qui en parle ? Personne. Ton papa sort de temps en temps, fumer une cigarette, passer les coups de fil, à la famille, au boulot, encore la famille. Ouf, le papa et la maman de ton papa prennent la route, ils vont pouvoir s'occuper de ta soeur. Ils vont mettre du temps à arriver, mais ils vont arriver ! Je contracte vraiment beaucoup, alors on m'installe en salle de travail, on rompt la poche des eaux pour que ça aille un peu plus vite, j'ai mal, très mal. On me propose la péridurale, je dis : "Non, mes deux premiers accouchements ont été sans péridurale, ça va aller." On insiste, on m'explique que la douleur morale est déjà forte, pas la peine de s'infliger une douleur physique. Alors je dis oui, et là c'est le soulagement : je n'ai plus mal !
Nino, ton papa s'en va, il va chercher Anthéa chez notre amie, qui a accepté de venir la garder la nuit chez nous, pour qu'elle ne soit pas dépaysée. Et là, forcément quand je suis seule, je sens que tu arrives. Je bipe la sage-femme. Je lui dis : "Je vais accoucher." Elle me dit que ce n'est pas possible, il y a 10 mn encore mon col n'était pas assez ouvert. Elle m'examine, et là c'est la panique : la tête arrive, il faut se dépêcher. Je donne le numéro de portable pour que ton père arrive, la sage-femme me dit : "Il arrive tout de suite"... Trop tard, en deux poussées, tu es né Nino, tu es né et tu es mort. Il est 21h08. Je pleure beaucoup. Ca y est, papa arrive. Je lui dis : "C'est trop tard." Il est désolé, mais je crois que c'était peut-être mieux. Il a été à mes côtés toute la journée, il n'est parti qu'une heure, il n'a pas été là pour l'accouchement en lui-même, mais je ne lui en veux pas. Antoine je t'aime, je t'aimerai toujours.
Je somnole, j'ai faim, j'ai soif, je veux dormir, je ne supporte plus personne, mais je veux te voir. Nous avions dit que nous voulions te voir, mais pas
te prendre, alors la sage-femme arrive, tu es dans ses bras, je te regarde, je pleure, la sage-femme s'en va... Puis je la rappelle, finalement je veux
te porter, te bercer. Ca y est, tu es dans mes bras, mon dieu tu es si beau. J'ai peur de te faire mal, je n'ose pas bouger. Je fais attention à
ta tête, c'est ridicule, tu es mort, mais je crois qu'un quart de seconde, j'ai espéré que tu reviennes à la vie dans mes bras.
Je te dis au revoir, ton papa te ramène à la sage-femme. Je ne te reverrai plus jamais.
Je suis restée jusqu'au vendredi midi à la maternité. J'ai pleuré, vu la psy, encore pleuré. Et quand j'étais
sous la douche, j'ai cru t'entendre pleurer Nino, alors je me suis dépêchée de finir de me laver pour revenir dans la chambre, mais
non bien sûr, tu n'étais pas là. Ce jour là, j'ai côtoyé la folie. Lorsque je suis enfin sortie, j'ai réalisé
que ma vie s'était arrêtée. Affronter la famille, les maîtresses, les voisins, ce fut à la fois horrible et insignifiant. Les résultats de l'autopsie
ne nous ont rien appris de concluant. Nous avons fait don de ton corps à l'hôpital, ils t'ont enterré le 1er avril. J'irai te chercher
un jour, je te le promets.
Aujourd'hui je tente de survivre, même si ton absence se fait par moments moins douloureuse, une partie de moi est morte avec toi.
Nino, je t'aime
au-delà de tout.
Virginie, septembre 2006
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le faire-part de naissance de son petit frère
"Merlin"
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