Peut-on mourir sans naître ?
J’ai rencontré Michel en 1998. Nous nous sommes mariés en juin 1999. Un an plus tard, le 2 juin 2000, naissait notre première fille, Méryl. Deux ans plus tard, le 24 août 2002, notre fille cadette, Lise, est née sans vie. Voici l’histoire de sa courte vie.
Depuis juillet 2001, nous envisagions de donner un petit frère ou une petite sœur à Méryl. Nous habitions en région parisienne et il était fortement question que j’aie une mutation, mais nous ne savions pas où ce serait. Or, l’annonce d’une naissance compromet souvent une mutation. En décembre, ni la mutation ni l’enfant ne s’annonçaient, nous avons donc décidé d’acheter une maison. Mi-décembre, j’apprends que je suis enceinte. Pour Noël, alors que notre bébé n’est pas encore visible à l’échographie, nous lui choisissons son prénom : si c’est une fille, ce sera Lise ; si c’est un garçon, ce sera Alain. Début janvier, on me propose une mutation en province. L’offre est maintenue malgré l’annonce de ma grossesse. C’est un véritable défi de prendre un nouveau travail, d’annuler l’achat de la maison, de trouver une nouvelle nounou pour Méryl, un nouveau gynécologue, une nouvelle maternité, et de déménager dans un lieu que nous ne connaissons pas avec un bébé qui s’annonce. Nous le relevons.
A la première échographie, notre bébé ne se laisse pas facilement mesurer : il n’arrête pas de remuer. « C’est bon signe », me dit la gynécologue. Je saurai plus tard que ce n’était pas forcément très bon signe…
En mars, nous déménageons. En avril, ma grand-mère décède et Méryl attrape la varicelle chez une voisine qui la gardait pendant l’enterrement. Le médecin me demande de vérifier que je suis bien immunisée : pas de problème, ma mère m’assure que j’ai eu une belle varicelle étant petite.
A la deuxième échographie, tout est parfaitement normal. J’ai mangé de la tarte Tatin avec de la glace à la vanille avant de venir et le bébé semble se délecter de son liquide amniotique. Je sais déjà qu’Alain-Lise ou Lise-Alain aime la tarte Tatin. Ce que les goûts se forment vite !
Je commence à prendre des cours de natation maternité et, tous les lundis soirs, la sage-femme écoute le cœur du bébé avant et après l’exercice. Mon ventre commençant à se faire lourd, je mets fréquemment de la crème anti-vergetures, ce qui rend l’écoute du cœur du bébé parfois difficile avant le plongeon dans l’eau.
Mon nouveau travail n’est pas facile et j’en viens parfois à regretter de devoir m’arrêter pour cause de congé maternité. Je dois préparer tant de choses en si peu de temps ! Il m’arrive de penser que, si je n’étais pas enceinte, tout serait plus facile. Le médecin se voit forcé de m’imposer de m’arrêter de travailler avant mon congé maternité afin que je prenne un peu de repos. Le jour où, malgré son avertissement, je retourne au bureau, j’observe quelques saignements : je fonce à la maternité, fausse alerte, tout va bien, mais par mesure de prudence il faut que je reste bien sage pendant au moins 8 jours. J’ai retenu la leçon, je vais ralentir le rythme. Etant à la maison, je commence à m’intéresser à ce bébé que j’avais bien négligé jusque là. Je lui achète une petite peluche et quelques habits mais, comme nous avons souhaité ne pas savoir si c’était un garçon ou une fille, les achats restent très limités. Je commence à décorer sa chambre. Il faut dire que, lors de notre déménagement, nous avions déjà choisi quelle serait la chambre du bébé.
Je sors un lit plus grand pour Méryl afin que son petit lit puisse servir au bébé. Je passe ma troisième échographie sans difficulté. Nous avions envisagé de passer une semaine de vacances dans le Massif Central, la gynécologue nous le déconseille car cela ferait trop de route et nous obligerait à parcourir une trop grande distance pour aller à la maternité la plus proche. Nous irons donc au bord de la mer, à 15 km d’une grande maternité. Je prendrai le train et Michel et Méryl me rejoindront en voiture. Nous aurons à notre disposition une garderie où nous pourrons confier Méryl si je veux me reposer. L’armoire du bébé se remplit des vêtements que Méryl portait quand elle était petite et de ceux que j’ai achetés. Méryl commence à s’intéresser à ce petit lit dans lequel nous avons installé son mobile. Elle voudrait bien récupérer « ses » jouets et sait bien que c’était « son » lit. Elle apprend à dire « bébé » en désignant mon ventre qui ne peut plus se cacher.
Août 2002. Nous partons en vacances. Je suis dans mon 9e mois. J’espère de tout mon cœur que l’accouchement n’aura pas besoin d’être déclenché : pour Méryl, il avait fallu déclencher l’accouchement pour terme dépassé ; J’avais cherché à retarder l’échéance mais, 48 heures après le terme, le liquide amniotique était teinté et il était grand temps que Méryl naisse. L’accouchement cette fois-ci étant prévu pour le 1er septembre, si le bébé pouvait naître vers le 15 août, juste après notre retour de vacances…
Pendant nos vacances, j’ai l’impression d’avoir des pertes anormales. Direction la maternité, monitoring, fausse alerte, tout est normal. Nous rentrons de vacances en pleine forme. Je reprends mes cours de natation maternité, le cœur du bébé est parfait. Je me rends à ma visite du 9e mois. Nous sommes le mardi 13 août. La sage-femme a du mal à percevoir les battements cardiaques du bébé. Elle demande une échographie. Tout est normal, seulement la colonne vertébrale du bébé est orientée vers l’arrière, ce qui rend l’écoute de son cœur difficile. Lundi 19 août, nouvelle séance de natation maternité, le cœur du bébé bat normalement. Le temps est très lourd, l’orage menace. Cette nuit-là, l’orage éclate, un orage très violent, et un moustique perturbe notre nuit. Le lendemain, le bébé bouge énormément. Je suis folle de joie : peut-être est-ce le signe que les contractions vont commencer et que ce bébé va naître « naturellement » ? Mais les mouvements se calment. Les moustiques ne sont pas partis et je me décide à mettre un diffuseur d’insecticide dans la chambre pour que nous puissions bien dormir. J’ai bien un peu peur que cela fasse du mal au bébé mais nous avons tant besoin de dormir !
Mercredi soir, Michel revient du travail très préoccupé. Nous parlons longuement de son travail. Je lui dis que j’ai l’impression que le bébé ne bouge plus beaucoup. Il me dit : « C’est normal, avec tout l’exercice qu’il s’est donné hier, il faut bien qu’il se repose. Et puis, il est bien gros, il ne doit pas avoir beaucoup de place pour remuer ! » Je n’insiste pas : de toute manière, le lendemain, j’ai rendez-vous à la maternité pour une séance de préparation à l’accouchement.
Mais ce 22 août, le verdict tombe : « Madame, il faut se rendre à l’évidence, le cœur de votre enfant a cessé de battre. » Face aux deux médecins, à la sage-femme et à l’écran d’échographie désespérément immobile, je suis comme anesthésiée. N’arrivant pas à capter les battements du cœur du bébé sur son monitoring, la sage-femme qui assurait le cours avait demandé une échographie. Mais ce n’était pas la première fois : la semaine précédente, c’était la même chose et le cœur du bébé battait alors normalement. Que s’était-il donc passé ? Je pense à la varicelle : peut-être n’étais-je pas vraiment immunisée ? Le médecin me demande si je n’aurais rien mangé d’avarié. Je ne crois pas, et je me suis même privée de fruits de mer pendant les vacances pour éviter tout ennui. Je n’ai pas eu d’accident de voiture, j’ai même pris le train pour éviter tout risque ! Je me demande si je n’aurais pas trop travaillé les exercices demandés pour la préparation à l’accouchement mais je n’ose pas en parler à l’équipe médicale. Pourquoi est-ce que je n’avais pas reconnu que, si mon bébé bougeait tant mardi, c’est qu’il souffrait ? Et pourquoi n’avais-je donc pas accouché plus tôt, avant que ce cœur ne cesse de battre ? 8 jours plus tôt, mon enfant n’aurait pas été prématuré !
Le médecin me demande pourquoi je ne suis pas venue plus tôt. Mais pourquoi aurais-je dû le faire ? Si j’attends un autre enfant et qu’il bouge beaucoup, je crois que je filerai à la maternité, mais là… Si toutes les femmes devaient venir à la maternité quand elles sentent leur enfant bouger, les équipes ne pourraient pas faire face à cet afflux de demandes !
Un autre problème se pose : mon col n’est toujours pas prêt à l’accouchement, or il faut faire naître le bébé le plus rapidement possible pour préserver ma santé. Je voudrais quand même savoir le sexe de mon enfant afin de l’appeler par son prénom les quelques heures qui nous restent à passer ensemble. « Désolé, comme il ne bouge pas, vous ne connaîtrez son sexe qu’à la naissance. » En effet, comme le bébé ne bouge plus d’un pouce, on ne peut rien voir à l’échographie ! Le médecin signe un document que j’interprète comme un certificat de décès in utero et me demande d’avaler deux cachets pour déclencher l’accouchement. J’ose demander timidement : « S’il y avait le moindre espoir, ces médicaments présentent-ils un risque pour l’enfant ? » Le médecin me répond : « Il n’y a pas le moindre espoir et ces médicaments n’ont pas d’effet secondaire. Mais ils ne peuvent être délivrés qu’à l’hôpital car on ne les donne pas pour un enfant vivant. » La sage-femme me fait quelques prises de sang et me demande si nous souhaitons une autopsie : bien sûr que oui, je veux connaître l’origine du décès.
« Et les obsèques, vous souhaitez les organiser vous-mêmes ou laisser l’hôpital s’en charger ? » Obsèques ? Comme ce terme me heurte ! Quelques heures plus tôt je me préparais à une naissance et je n’avais jamais imaginé ce qu’il fallait faire pour un petit décédé si jeune. Le plus simple serait peut-être de ne rien faire. Mais il y a Méryl et les éventuels frères et sœurs… « Si c’est l’hôpital, nous prenons en charge tous les frais. » Ah, c’est vrai, il faut aussi envisager des frais ! Combien ça peut bien coûter, l’enterrement d’un tout petit ? Dans quel cimetière aller, d’autant que nous sommes arrivés récemment dans la région ? Je refuse d’y penser maintenant. Le médecin me propose alors de choisir entre rentrer chez moi et rester à l’hôpital. L’idée d’être à côté de mamans toutes joyeuses de serrer leur bébé vivant dans leurs bras me rebute, je préfère rentrer chez moi. Mais, avant de prendre le volant, j’appelle mon mari : « Appelle nos amis qui partagent notre foi et demande leur de prier pour nous. » En effet, nous sommes tous deux chrétiens et nous croyons que Dieu peut faire des miracles.
J’arrive en larmes à la maison. Méryl sèche mes pleurs. Nous lançons un « SOS prière » à tous les amis qui partagent notre foi. Dans la Bible, il y a plusieurs récits de résurrection. Nous croyons que Dieu peut ressusciter notre bébé. Nous voulons y croire jusqu’à la naissance. Mais la journée est difficile. Mon rendez-vous programmé le matin chez la coiffeuse est un vrai calvaire : une cliente est venue avec un bébé de quelques semaines qui gazouille gentiment et la coiffeuse me demande pour quand est « l’heureux » événement… Je ne peux pas retenir mes larmes. De retour à la maison, je cherche quels versets nous pourrions faire figurer sur le faire-part de naissance qui attendait chez l’imprimeur que l’on précise le sexe de l’enfant et la date de sa naissance. Je propose qu’on inscrive: « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » (Jean 11 :40).
Michel a souhaité que nous ne disions rien à Méryl mais elle passe une nuit affreuse et se réveille toutes les heures. Le lendemain matin, je n’y tiens plus et je lui dis : « Le bébé n’est plus là, il est mort, j’ai beaucoup de peine, mais nous croyons que Dieu peut le ressusciter. » Cela l’apaise beaucoup.
Ce vendredi matin, je retourne à l’hôpital pour des examens complémentaires et pour prendre à nouveau mes comprimés. Méryl restera chez sa nounou jusqu’à la naissance. Je me demande si l’insecticide que j’ai utilisé ne serait pas en cause mais le personnel de la maternité me rassure. L’examen clinique montre que l’accouchement n’est toujours pas imminent. Le médecin me demande cette fois-ci de rester. Michel veut voir de ses yeux l’échographie, le médecin accepte de lui montrer ce petit corps immobile sur l’écran. La sage-femme revient à la charge : « Que ferez-vous pour les obsèques ? » Nous demandons à bénéficier d’un délai de réflexion de 24 heures à partir de la naissance. Nous voulons croire que nous n’aurons pas besoin de nous poser cette question. La sage-femme me demande le livret de famille. Je m’étonne : « Vous en avez besoin ? » La sage-femme rectifie : « Si vous ne voulez pas que votre enfant soit noté dessus… » Mais si, seulement je ne croyais pas que c’était possible ! Je suis agréablement surprise.
Mon mari m’amène plusieurs cassettes de chants de louange. Je m’efforce de me reposer car je sais que j’aurai besoin de toutes mes forces pour l’accouchement. Le soir, la sage-femme est heureuse de m’annoncer que nous pourrons bénéficier d’un délai de réflexion de six mois pour les obsèques. Nous n’en demandions pas tant !
Le lendemain, à 7 heures, ce samedi 24 août, je perds les eaux et les contractions commencent enfin à se manifester. J’ai à cœur de lire le livre de Job, dans l’Ancien Testament, et je reçois de plein fouet ce verset : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, que le nom du Seigneur soit béni. » (Job 1 :21b) Sur le coup, je refuse que cela s’applique à moi. A midi, la dilatation du col étant suffisante, je descends en salle d’accouchement. La sage-femme veut me mettre des injections d’ocytocine mais je demande à avoir d’abord une péridurale. Mon mari est à mes côtés et nous prions ensemble, au début à voix basse, puis à voix haute. Les chants de louange nous environnent. J’ai l’impression de sentir la présence d’anges autour de moi. Je suis pleine d’espoir. Je sens mon bébé s’engager de travers dans mon bassin, je lui parle et redresse son petit corps. A 15h30, le bébé naît. La sage-femme me demande quel est son nom, je lui demande si c’est un garçon ou une fille. Elle avait oublié de regarder ! C’est une fille, c’est donc Lise. Je la serre contre mon sein. Elle a l’air serein mais il est manifeste qu’elle n’est pas revenue à la vie. La raison du décès est maintenant évidente : un nœud très serré sur le cordon a privé ma fille d’oxygène et de nourriture les derniers instants de sa vie. En fait, quand elle remuait tant au cours des premiers mois de sa courte vie, elle a fait un tour avec le cordon et est passée dedans, ce nœud est resté invisible pendant toute ma grossesse jusqu’au jour où il s’est serré… Je garde Lise quelques instants dans mes bras puis je la confie à l’aide soignante pour qu’elle soit lavée, pesée, mesurée. Elle ne pourra pas être habillée à cause de l’autopsie mais on pourra me la ramener enveloppée dans un drap. Nous comprenons que nos prières ont été exaucées d’une manière inattendue : nous avons reçu les forces nécessaires pour vivre cet événement. Je garde Lise dans mes bras jusqu’au moment où je remonte dans ma chambre, je ne la reverrai plus avant l’autopsie.
Samedi soir, la sage-femme nous demande, mon mari et moi, de signer un document autorisant l’autopsie et précisant qui organise les obsèques. Comme nous souhaitons réfléchir, elle nous dit qu’il faut cocher la case « organisation par l’hôpital » en rajoutant la mention « en attente de décision des parents ». Méryl vient me voir avec Michel. En passant devant les bébés, elle dit : « Nous, a pu bébé ». Le plus difficile à vivre n’est pas tant d’apercevoir des bébés bien vivants que d’entendre les battements de cœurs des bébés dont les mamans sont sous monitoring.
Lundi 26 août, je peux sortir de l’hôpital. Une fois le choc passé, nous avons décidé de faire des obsèques, pour que Méryl et ses autres frères et sœurs gardent une trace de ce qui s’est passé, et aussi pour témoigner de notre foi. Nous avions prié que, par la résurrection de Lise, Dieu se révèle à beaucoup. Nous prions maintenant que, par la mort de Lise, plusieurs trouvent le chemin qui mène à Dieu. Je demande à la sage-femme à qui m’adresser pour faire connaître notre décision. Elle me répond : « Je vous appellerai chez vous. »
Mon mari me propose de déjeuner dans un bon restaurant. Nous rentrons vers 16h à la maison. Sur le répondeur, un message : il faut rappeler d’urgence le service génétique à Tours, où Lise est autopsiée. Mais le service est déjà fermé, nous rappellerons le lendemain. Nous décidons que les obsèques auront lieu le samedi 7 septembre, ce qui permettra à un maximum de nos amis et connaissances de venir et laissera le temps nécessaire pour l’autopsie – on nous a parlé de 15 jours -. Nous décidons aussi que l’enterrement aura lieu à Tours, où nous connaissons une église suffisamment grande pour nous accueillir. Le pasteur de Tours est d’accord pour nous donner accès à son église et le pasteur de notre église en région parisienne est d’accord pour présider le service funèbre. Lise sera enterrée à Tours, pour éviter de faire faire trop de kilomètres à ce petit cercueil et pour disposer d’un lieu qui sera facile d’accès à partir de notre prochaine résidence, car une nouvelle mutation est plus que probable. Nous téléphonons à la société à qui nous avions commandé les faire-part afin qu’elle modifie le faire-part qui servira aussi à annoncer les obsèques.
Mardi 27 août, le service génétique nous apprend que nous avons eu tort de cocher la case « obsèques organisées par l’hôpital » car cela signifie que l’hôpital de Tours procèdera à un enterrement à une date que nous ignorerons et sans possibilité de cérémonie religieuse. Six mois après l’enterrement, sans nouvelles de notre part, l’hôpital procèdera à une incinération et les cendres seront dispersées au jardin du souvenir au cimetière d’Esvres. Si nous souhaitons procéder à des obsèques, nous devrons déterrer l’enfant. Mais ce n’est pas ce que nous voulions ! Nous fonçons ce matin-même au service génétique de Tours pour modifier les documents. Nous apprenons que Lise vient juste de sortir d’autopsie et qu’elle va être transférée à la chambre mortuaire de l’hôpital.
Entre-temps, j’appelle une société de pompes funèbres pour prendre quelques informations. La personne que j’ai en ligne me dit qu’il est impossible de faire enterrer notre fille à Tours car nous n’habitons pas cette ville et Lise n’y est pas décédée. Elle me conseille néanmoins d’appeler le service des cimetières de la ville de Tours, ce que je fais aussitôt. Je trouve une personne très compatissante qui m’assure que nous pourrons enterrer Lise à Tours vu qu’elle y est autopsiée. « Mais un seul cimetière accepte les petits cercueils, c’est le cimetière de la Salle, à Tours Nord ». Après notre visite au service génétique, nous allons donc visiter le cimetière de la Salle. Dire qu’une semaine plus tôt nous ne soupçonnions même pas que nous allions devoir faire ce type de démarche !
Nous optons pour ce cimetière et nous nous rendons au service des cimetières de la ville de Tours pour demander une concession. La ville de Tours n’est pas réputée pour ses facilités de stationnement, nous craignons d’arriver une fois les bureaux fermés. Mais nous arrivons à temps. Il faut décider si nous voulons un caveau ou un enterrement en pleine terre, si nous voulons une concession de 5, 10, 15, 30 ou 50 ans. Tant de questions tellement surréalistes !
Nous terminons ce marathon – trois jours seulement après l’accouchement ! - en rendant visite à la société de pompes funèbres que j’avais eue en ligne – elle est tout près de la mairie. Le vendeur nous dit qu’il a lui-même perdu un tout-petit récemment. Comment, il est passé par-là et il ne sait pas que nous pouvions faire enterrer notre fille à Tours ? Quand nous lui disons que nous envisageons de procéder aux obsèques le 7 septembre, il s’étonne : « Je ne sais pas si vous pourrez avoir une dérogation, normalement vous devez l’enterrer au plus tard le 30 août, je vais voir ce que je peux faire. Mais en tout cas, vous ne pourrez pas assister à la fermeture du cercueil, le corps ne se conservera pas d’ici là. » Nous allons voir une autre société de pompes funèbres, juste à côté. Le discours y est plus froid, moins obséquieux. Le vendeur nous assure qu’il obtiendra sans difficulté une dérogation pour des obsèques le 7 septembre.
Mercredi 28 août, retour à Tours. Je souhaite en effet revoir ma fille et voir une troisième société de pompes funèbres. La responsable de la chambre mortuaire s’indigne : « Mais bien sûr que vous pourrez assister à la fermeture du cercueil le 7 septembre ! Nous faisons bien notre boulot ! Le corps ne sera peut-être pas aussi bien conservé qu’aujourd’hui mais il sera présentable ! »
Sur les 3 sociétés de pompes funèbres consultées, une était beaucoup plus chère que les autres. A prix équivalent, nous avons choisi celle qui nous avait assuré pouvoir obtenir la dérogation. Ce mercredi soir, elle nous appelle : l’horaire choisi pour les obsèques ne convient pas car les cimetières de Tours ferment à 15h le samedi, il faut organiser le service funéraire plus tôt. Heureusement, les faire-part ne sont pas encore imprimés. Le service des cimetières nous autorisant une arrivée à 15h15 maximum, nous arrivons à maintenir les obsèques le 7 septembre après-midi.
Le mercredi 4 septembre, je veux revoir une dernière fois ma fille avant l’enterrement. Elle n’est pas aussi « présentable » que le 28 août mais elle a toujours son air serein. Les cicatrices suite à son autopsie ont saigné, je suis contente que nous soyons passés, nous achetons un petit pyjama que le personnel de l’hôpital lui mettra pour les obsèques. Elle sera ainsi toute belle.
Ce samedi 7 septembre, j’espérais encore un miracle, entendre des pleurs dans ce cercueil mais mon mari m’a dit que c’était mon cœur de mère qui parlait : le verset du livre de Job, une amie l’avait reçu également lorsqu’elle priait pour nous avant l’accouchement. Et, lorsque le petit cercueil blanc a été déposé au fond du caveau, j’ai eu une vision : je voyais une toute petite fille debout dans les cieux, vêtue de blanc, en train de chanter avec les anges, et je « savais » que c’était ma petite Lise. Son corps repose au fond de cette tombe, pas son âme. On m’a demandé si je voulais chanter quelque chose, nous avons tous entonné : « A toi la gloire ! »
Lise nous manque énormément mais elle a un nom ; elle dispose d’un « certificat d’enfant sans vie » ; nous avons quelques superbes photos d’elles ; j’ai la ferme conviction qu’elle est désormais heureuse ; j’ai dans ma tête d’émouvants souvenirs d’échographies, lorsqu’elle manifestait sa joie de vivre in utero ; je suis reconnue comme mère et j’ai bénéficié de la totalité de mon congé maternité ; mon mari est reconnu comme père et a bénéficié du nouveau congé paternité ; mon employeur m’a versé une « prime naissance », bien utile pour faire face aux frais d’obsèques ; Lise a sa petite tombe nominative et elle figure dans notre livret de famille – mais uniquement dans la case « décès » - ; nous sommes entourés ; j’ai pu consulter de nombreux ouvrages très bien faits sur ce sujet (dont Repères pour vous, parents en deuil, petit fascicule édité par l’association Sparadrap, 48 rue de la Plaine, 75020 Paris, qu’il serait bien que toutes les maternités puissent offrir aux parents confrontés à cette situation)… Que demander de plus ? Que la douleur liée à l’absence de ma fille diminue (ce qui seul le temps sait faire). Et que l’on reconnaisse, sur notre livret de famille, qu’elle est née, même s’il faut rajouter le terme « sans vie ».
Ce terme « naissance » qui a été utilisé maintes et maintes fois avant et pendant l’accouchement est dorénavant refusé à Lise. La loi française considère qu’on ne peut naître que vivant et viable. Pourtant, naître signifie : sortir du ventre maternel. Est-ce à dire que Lise n’est jamais sortie de mon ventre, que tout cela n’est qu’un rêve ? Si Lise n’avait jamais existé, pourquoi a-t-on alors eu le droit de l’enterrer et pourquoi peut-elle figurer sur notre livret de famille ? Si elle a existé et qu’elle n’est jamais sortie de mon ventre, suis-je vraiment encore vivante ou est-ce que je suis en train de vivre en rêve ? Ces questions lancinantes ne trouvent de réponse que dans les traces que la brève existence de ma fille a laissées sur mon corps et dans les montées de lait qui m’ont rappelé, quelques semaines après l’accouchement, l’absence d’un bébé bien réel. Dans la liste des naissances et des décès publiée par notre commune, Lise a été « oubliée » : contrairement aux actes de naissance, les actes d’enfant sans vie ne sont pas communiqués aux communes où les parents sont domiciliés…
Epilogue
Une amie qui vit aux Etats-Unis m’a envoyé un livre sur le deuil périnatal
à la lumière de la Bible. J’ai trouvé ce livre empli de tels enseignements que je l’ai traduit en français et, depuis avril
2004, il est disponible en librairie, aux éditions Famille je t’aime, sous le titre Pleurer l’enfant que je n’ai jamais connu. Il propose 31 méditations sur des thèmes tels que le déni, la souffrance, le pardon, les relations avec les autres… L’auteur,
Kathe Wunnenberg, a elle-même subi 3 fausses couches et l’un de ses enfants est décédé peu après sa naissance.
J'ai donné naissance le 5 juin 2004 à un troisième enfant,
Samuel,
un petit garçon en pleine forme,
né 3 jours après terme, 4,550 kg et 55,5 cm.
Voir le faire-part de naissance
de son petit frère "Samuel"
Catherine
email : gabylove.j@laposte.net
(1) Je souhaiterais mentionner tout particulièrement Repères pour vous, parents en deuil, édité par l’association Sparadrap, tel. 01 43 48 11 80,
www.sparadrap.org, dont il serait souhaitable que toutes les maternités disposent.
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