Trop seule avec ta mort

 

 

Mars 2002

 

 

Il y aura 4 ans cette semaine.

 

J’y pense, j’y pense depuis le début du mois je me sens malade de ta mort mon tout petit. Je me dis que si tu avais continué à marcher, à vivre, à te battre, tu aurais 4 ans mon petit et tu irais déjà à l’école. Je suis malade de ta mort et je suis toute seule avec ta mort.

 

Je pense à toi mon tout petit et tu me manques. Ta sœur Ines, je la vois dans son petit combat de trois pommes, dans son petit combat pour apprivoiser la vie, dans son petit combat contre la peur.

 

Je pense à toi mon tout petit à tes petits yeux sombres, à ton petit corps recroquevillé sur lui-même, ton petit corps qui s’est arrêté de battre à l’intérieur de mon corps. Qu’est ce qui s’est passé à l’intérieur de mon corps pour que ton corps s’arrête de bouger ? Je n’arriverais jamais à oublier cet instant, mon tout petit, cet instant ou j’ai appris.

 

Je pense à toi mon tout petit, au printemps, à la douceur du printemps, aux fleurs légères dans les arbres du parking de l’hôpital, à mon ventre-tombe qu’on a amputé de toi.

 

Je pense à toi mon tout petit, je pense à ce moment où mon ventre à explosé. Je pense à ces heures d’attente, je pense aux tubes de sang qui sont partis dans un sachet pour rechercher une cause qu’on n’a pas trouvée.

 

Je pense à toi sur ton drap bleu, je pense à notre silence à ton papa et moi, je pense à cet instant suspendu où nous t’avons rencontré pour la première et pour la dernière fois, je pense à ce moment suspendu où tu nous à dit au revoir avant de partir dans un voyage dont nous ne saurons jamais rien.

 

Je pense à ton silence qui répondait à notre silence, je pense à nos deux regards posés sur toi, je pense à ton regard noir et suspendu dans cet instant, je pense à ton regard fixe qui n’a pas bougé.

 

Je pense à mon lit d’hôpital, je pense à Sacha que je faisais jouer avec mon lit d’hôpital pour le distraire. Je pense à ton papa quand il est parti pendant que j’attendais. Je pense à cet instant où j’aurais voulu lui crier que je voulais qu’il reste et que ne l’ai pas fait. Je pense à ces heures immobiles où j’ai attendu que mon ventre s’ouvre. Je pense à ces médicaments qu’on me demandait de prendre toutes les 3 heures sans me dire où quand comment. Je pense à cette solitude immense, à la froideur de cette chambre d’hôpital. Je pense à ces dernières heures que j’ai passées avec toi, sans vie.

 

Je pense à cet instant qui nous a séparés. Je pense à ce moment où mon corps s’est déchiré. Je pense à ton corps glissant hors de moi, je pense à l’affolement des sages-femmes, je pense à mon lit qu’on sortait de ma chambre, je pense à mon effroi, je pense à ce moment où je leur ai demandé il est sorti mon bébé alors que je le savais je le savais qu’il était sorti. Je pense à leur effroi, à leur silence, à leur mouvement de tête. Je pense à ce tournant entre ma chambre et le couloir de l’hôpital, je pense à ce trajet entre ma chambre et la salle d’opération, je pense à ce dernier voyage que nous avons fait ensemble, moi le corps ouvert et toi gisant entre mes jambes.

 

Je pense à ma peur, je pense à mes mots bousculés dans ma bouche, je pense à ce masque en plexiglas qu’on m’a mis sur le visage, je pense à ces mots que j’ai tentés de dire avant qu’il recouvre mon visage, que je voulais te voir que je voulais te voir que je voulais te voir.

 

Je pense à ce moment où tout est devenu noir, je pense à ce moment dont je ne me souviens pas, je pense à ce moment où on a tout nettoyé, mon corps, ton corps, je pense à ce moment où on a nettoyé mon corps de la souillure de ta mort. Je pense à ce moment que je ne connais pas. Je pense à ce moment que je n’ai jamais vu.

 

Je pense à ce moment où je me suis réveillée dans une salle avec d’autres lits à côté. Je pense à ce que j’ai pensé à ce moment là, que ça y est j’étais séparée de toi, que ça y est, tu étais quelque part où je n’étais plus. Je me suis sentie morte avec toi, mon tout petit.

 

Je pense à ces tranquillisants qu’on m’a donnés, à ces choses que j’ai regardées. Je pense, j’ai les pensées fixées sur ces instants. Je ne peux pas dire, je ne peux dire à personne comment je pense.

 

Je suis seule avec ta mort mon tout petit.

 

 

Catherine

 verrier.catherine@wanadoo.fr

 

 

 

 

 

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