Une maman sans bébé face à l'administration

Le parcours d'une combattante

 

 

Naissance de Jules Salczer, le 18 mai 2005, né mort à 23 Semaines d’Aménorrhée.

 

 

La mutuelle appelée la veille de l’accouchement pour l’informer de mon hospitalisation donne le ton : « Vous comprenez bien qu’un enfant mort, ce n’est pas comme un enfant vivant donc ne comptez pas sur nous pour vous verser la prime de naissance, vous n’y aurez pas droit. »

Comme si nous voulions « profiter » de la mort de Jules !

 

 

C’est d’abord avec la CAF qu’il faut s’expliquer. Nous avons commencé par recevoir des courriers comme le livret de paternité ou : « Vous venez d’accueillir sous votre toit un nouveau bébé… Vous allez pouvoir bénéficier de la PAJE… » alors que j’avais fait parvenir un acte d’enfant sans vie dès mon retour à la maison pour éviter ce genre de difficultés.

J’appelle  la CAF : on s’excuse de l’erreur commise et on m’explique que l’enfant étant mort je n’y ai pas droit.

Quelques jours passent et le centre PAJE, cette fois, m’envoie ma nouvelle immatriculation. Je réitère mon explication non sans une certaine lassitude et là on m’explique le contraire : ce qui fait foi est le fait qu’il y a eu naissance.

Je préfère finalement cette version mais lorsque je rappelle la CAF pour leur demander le dossier à compléter, on me répond à nouveau que ce n’est pas possible car le dernier enfant gardé est né en 2002.

« De quel droit pourrais-je bénéficier de la PAJE, comment s’appelle ce dernier enfant qui n’apparaît nulle part ? »…De quoi perdre patience ! 

 

 

Les difficultés sérieuses commencent avec la CPAM de la R. à A. où je suis au regret de constater le manque d’humanité et de compétences du responsable ainsi qu’un certain nombre de dysfonctionnements.

De retour de la clinique,  j’ai eu plusieurs coups de téléphone avec une dame du pôle réglementation d’A. qui m’a affirmé que je n’avais pas droit à un congé maternité mais à un arrêt maladie (« Ne vous inquiétez pas, vous toucherez autant, je ne comprends pas ce qui vous gêne… ») dont la durée dépendrait de la décision du médecin. Il était urgent d’envoyer ce papier d’après elle. J’ai appris plus tard que l’envoi d’un arrêt maladie aurait signifié que je renonçais au congé maternité.

Il m’a fallu dans un premier temps démontrer que j’étais en droit d’être en congé maternité ce qui était psychologiquement important pour moi et faisait partie de la reconnaissance de  l’existence de notre enfant.

Renseignements pris auprès d’associations comme l’enfant sans nom et Vivre son deuil Nord-Pas-de-Calais, j’ai envoyé un acte d’enfant sans vie et des n° d’articles du code de la sécurité sociale faisant valoir mes droits, ce qui aurait dû suffire.

Il m’a été répondu par écrit que « seul un certificat médical indiquant que l’enfant était viable entraînera le prolongement du congé maternité » par la personne qui s’occupe habituellement de moi.

Or, pour obtenir l’acte d’enfant sans vie à l’état civil , il faut donner ce même certificat médical réclamé : ce document n’était donc plus en ma possession. 

De plus, la grossesse ayant été déclarée dans leur service, ils avaient en mains la preuve nécessaire que l’enfant était considéré comme viable puisque né à 23 SA… Encore faut-il connaître le seuil de viabilité fixé à 22 SA ou 500g ! 

J’ai dû retourner à la clinique seulement quelques jours après notre malheur pour demander à l’obstétricien qui m’avait accouchée de me refaire le même certificat.

Ce n’est qu’un mois et demi après que je reçois un avis des ASSEDIC (je suis chanteuse lyrique professionnelle donc intermittente du spectacle) me radiant à compter de la date de l’accouchement : après un moment d’incompréhension, je comprends que cela signifie que mon congé maternité est enfin accepté !

 

Je reçois ensuite le détail des versements de la CPAM sans aucune autre indication mais je constate que le montant est bien inférieur à ce que je prévoyais : la période de travail retenue (sur 3 mois) est la plus défavorable pour moi. Malgré mes demandes téléphoniques de prendre en compte la notion de discontinuité de mon métier (calcul sur 12 mois), rien ne bouge : je serais la seule intermittente à ne pas travailler par intermittence !

Mon indemnité journalière de congé maternité calculée par la CPAM (montant qui est sensé refléter ce que je touche en moyenne par jour travaillé ) est tout bonnement divisée par deux par rapport à l’indemnité journalière des ASSEDIC sur la même période de référence. Une réalité, deux administrations, deux calculs et des résultats qui vont du simple au double ! Je rappelle la personne qui suit mon dossier pour lui faire part de mon étonnement. Elle me répond que mon cas leur donne déjà beaucoup de travail et que si je ne suis pas satisfaite, je n’ai plus qu’à contester par écrit.

 

Pourquoi un tel acharnement ? Je suppose qu’il n’est pas étranger au fait d’avoir fait valoir mes droits au congé maternité, alors qu’on m’avait certifié qu’une mère ayant perdu son enfant in utero ne pouvait y prétendre. L’ego des responsables du centre CPAM a du prendre le pas sur la raison et le droit.

Début juillet, j’ai pour la première fois au téléphone le responsable de la CPAM de la R. à A. pour lui demander la raison de son refus de calculer sur 12 mois, comme cela avait été fait pour mes deux premières grossesses dans le centre des Vosges dont nous dépendions à l’époque. Cet homme absolument odieux m’a expliqué qu’il se préparait à mon appel puisqu’il avait vérifié auprès de ce centre que j’avais effectivement touché beaucoup plus les grossesses précédentes. Vociférant au téléphone, il a refusé de revoir le calcul et tenté de m’intimider en me disant que :

-         m’ adresser au recours amiable serait très long et inutile.       

-         je risquais, si ma demande était rejetée comme il le préconisait, d’avoir à rembourser un trop perçu sur mes deux premières grossesses (selon lui le centre des Vosges a forcément fait une erreur que la CPAM est en droit de me réclamer aujourd’hui).

-         je risquais gros si je persistais en allant au tribunal car les frais seraient entièrement à ma charge et je risquais de payer une amende.

J’ai à nouveau fait des recherches et j’ai trouvé l’article du code de la sécurité sociale prouvant qu’il était effectivement normal dans mon cas de calculer sur 12 mois : c’est la règle pour les intermittents.

Malgré ses menaces, nous avons saisi la commission de recours amiable, qui vient d’aboutir le 15 octobre à un refus de revoir le calcul.

La commission reconnaît la possibilité de ce calcul plus favorable mais « ne croit pas devoir faire bénéficier l’assurée des dispositions prévues à l’alinéa 5 de l’article R 323-4 du code de la sécurité sociale ».

Ils tentent de contourner la loi qui devrait les obliger à le faire en allant chercher un arrêté de 2000 fixant d’après mes laborieuses recherches « les cotisations de Sécurité Sociale dues au titre de l’emploi des artistes du spectacle vivant participant à des spectacles occasionnels »: à priori rien à voir !

Voici leur pauvre argumentaire : lorsque l’on dépasse un certain plafond dans ce cas de figure précisément, ce qui a été mon cas et semble les irriter, les modalités de cotisations en question sont identiques au droit commun et pas spécifiques (il semble même que ce ne soit pas tout à fait exact).

Nulle part il n’est question du calcul des indemnités de congé maternité dans cet arrêté.

Mais puisque, pour ce micro cas évoqué, les intermittents s’alignent sur le régime général, ils extrapolent cet alignement de traitement aux modalités de calcul des indemnités journalières, point qui nous divise, et refusent un calcul spécifique prenant en compte la discontinuité du travail.

Cela contredit la loi déjà citée qui prévoit un calcul spécifique pour les professions soumises à de grandes fluctuations. Le Syndicat des Artistes interrogé sur cette question n’avait encore jamais entendu ça.

La conciliatrice de la CPAM dont j’ai depuis peu découvert l’existence a bien tenté…une conciliation, sans résultat. Elle a néanmoins notifié son désaccord à la commission.

Il faut aller au tribunal si nous contestons, avec comme menace que « dans le cas où le recours est jugé abusif, le demandeur peut être condamné au paiement d’une amende et de certains frais ». Nous ne nous laisserons pas intimider cette fois non plus et irons au tribunal.

 

En de pareilles circonstances, autant de difficultés à surmonter étaient de trop. Je ne demande pourtant aucune faveur particulière, simplement la compréhension de ma situation spécifique et l’application des textes existants dans le plus strict  respect de la loi. Cela aurait nécessité de la part de l’administration concernée :

·        Une connaissance réelle de la loi

·        Du bon sens

·        Un peu d’humanité

ce qui a manqué du début à la fin dans ce centre de la R. d’A., à l’image de son directeur, ainsi que dans cette commission de recours amiable.

Je suis sûre qu’une simplification et une meilleure information des services en question seraient possibles pour ces cas douloureux.

 

 

Je trouve formidable de pouvoir bénéficier de ce congé maternité, que la naissance de Jules ait finalement été prise en compte par la CAF et me réjouis de vivre dans un pays qui le permet mais c’est au prix de démarches harassantes.

Que d’énergie dépensée ! Quelle détermination pour obtenir tout cela !

Nous ne cherchons pas à profiter du système comme me l’ont fait sentir certaines personnes : la reconnaissance de cette naissance nous est nécessaire. Elle donne à cet enfant toute la place qu’il mérite.

 

 

Octobre 2005

 

 

Voir le témoignage anib13.gif "L'histoire de Jules Salczer"

 

 

note : Jules a eu un petit frère, Noë, qui l'a rejoint en juillet 2006.

 

 

 

 

 

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