Vivre le deuil d'un bébé jumeau 16 ans après

 

 

Chaque histoire est différente mais peut être que l’expérience de chacun peut amener à avoir une meilleure compréhension du deuil périnatal…

Le 30 juillet 1986, j’accouche de deux petites filles à 34 semaines de grossesse dont une née sans vie et l’autre de mort apparente.

Sous le choc, nous avons du prendre des décisions concernant notre fille décédée.

Sophie se battait dans un service de réanimation pour survivre et je ne pensais qu’à elle…

J’avais peur qu’en faisant des funérailles nous allions porter malheur à ce bébé … Cette peur est allée même jusqu’au refus de la mettre sur le livret de famille… Peur pour la suite. Peur de porter malheur aux enfants suivants aussi…

Concernant Virginie, notre fille décédée, nous nous sommes contentés d’une déclaration de décès.

Dans mon esprit, il fallait que je m’accroche à la vie, celle de ma fille, que je ne pose de problème à personne … Il fallait que je sois forte pour ma fille et pour mon mari… En conséquence, il y a eu peu de larmes et si larmes il y avait, c’était toujours seule. Pas de cri.

Il fallait que je tourne la page vite, très vite.

J’avais la chance d’avoir un bébé. C’était la normalité, donc je devais être heureuse. J’ai même pensé que, finalement, ce n’était pas si terrible que cela, qu’il y avait pire dans la vie, que nous aurions pu perdre les deux.

Et la vie suit son cours... Deux autres enfants viendront élargir la famille. Nicolas est né le 24 janvier 1988. Quelques moments d’angoisse lors de la grossesse, particulièrement lors des échographies… Je gardais un souvenir traumatisant des échographies de la première grossesse. Lucie est née le 08 avril 1991.Pendant cette grossesse, suite à un examen sanguin, nous avons eu un RV en génétique au CHU ou pour la première fois, on nous a parlé des raisons du décès de notre fille… Je garde un très mauvais souvenir de ce RV. Le médecin soupçonnait une trisomie 21 chez le bébé à venir et nous a proposé une amniocentèse que j’ai refusée. Il nous a donné les résultats de l’autopsie de Virginie ce jour là et nous a proposé de voir les photos de notre fille… J’en étais incapable. Mon mari de même.

Mais à chaque fois que l’occasion pouvait se présenter de parler de cet enfant, d’aborder nos souffrances et plus particulièrement la mienne, je m’empressais de mettre un couvercle sur l’émotion… Et après quelques larmes liées au souvenir de cette période, la vie reprenait …

Plusieurs années plus tard, en octobre 2002, une difficulté familiale…C’est l’électrochoc…

Je me retrouve comme au 30 juillet 1986.

Impuissante, désarmée, inutile…

Virginie avait pris une place que je ne soupçonnais pas… Dans mon inconscient, dans mes tripes. La souffrance était immense… Cette fois-ci, je savais qu’il fallait que je l’affronte. J'avais le sentiment que c'était important pour toute la famille.

Ce jour-là, il s’est passé quelque chose. Ce jour là, j’ai accepté de faire le deuil de ma fille. Je ne pouvais plus vivre comme si de rien n’était.

Nous avons fait refaire le livret de famille, j’ai entamé des recherches pour retrouver ma fille... Par chance, ces démarches ont été très rapides et nous l’avons retrouvée. Nous avons pu mettre son nom sur une stèle…

Il y a eu des moments extrêmement pénibles, mais à chaque fois, je sentais aussi une libération…

Le fait de savoir ou elle était (du moins ses cendres), de pouvoir me recueillir au jardin du souvenir, a été pour moi très apaisant. Ce fut apaisant pour Sophie aussi.

Le plus difficile à réaliser a été pour moi le pardon... Pardon à la famille qui n’a pas su être présente à l’époque, pardon à moi-même d’avoir nié ma fille, de l’avoir abandonnée, de ne pas l’avoir accompagnée jusqu ‘au bout… de ne l'avoir pas respectée...

Quand on abandonne un enfant vivant, on a toujours l’espoir peut-être de réparer, d’expliquer…

Difficile d’accepter aussi d’avoir eu un enfant mort dans son ventre… Je ne suis pas sûre de l’avoir encore aujourd’hui accepté… Un sentiment à la fois de dégoût et d’une intimité très forte avec la mort. Cela a amené une relation assez curieuse avec la mort… L’impression de la connaître, qu’elle fait partie de moi.

 Faire le deuil d’un jumeau peut paraître d’un premier abord simple, car on se " raccroche " à l’autre. Il est très facile de se leurrer et de banaliser l’événement...

En fait, tous les jours, je pense à Virginie. Mais tous les jours, je me dis aussi quelle chance j’ai d’avoir Sophie... Mais en même temps, le jumeau vivant nous rappelle aussi tous les jours que l’autre n’est pas là !

Aujourd’hui, le travail de deuil est bien entamé. J’ignore s’il est terminé et si un jour je pourrai mettre un point final… J 'ignore totalement s’il n’y aura plus jamais de larmes mais je sais qu’à chaque fois que l’émotion me submerge et qu’"une crise" intervient, c’est pour réparer ce qui n’a pas été guéri et que ces moments plus difficiles sont toujours prometteurs d’un pas en avant et d’un bien-être.

 

Chantal, octobre 2004 

 

Voir la lettre anib13.gif "Lettre à Sophie et Virginie"

 

 

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